Arbre à papillons

Même si l’idée d’un lilas
qui fleurit en été couleur fuschia
ou d’un arbre à papillons peut charmer
il ne nourrit pas vraiment, le buddléia
de David, les lépidoptères
comme le ferait un arbre à pain
plutôt comme un homme à femmes
il se montre plus mielleux que mellifère

Feuilles lancéolées
légèrement velues et dentelées
tiges lancées vers le haut s’inclinant
de gauche et de droite
il conserve longtemps ses fleurs
en panicules même fanées et brunies
et sème ses graines par milliers

Il a été rapporté du Tibet
des pentes de l’Himalaya
au prix du martyre, le buddléia
par des missionnaires associés
à la fin du dix-neuvième siècle
au Muséum d’histoire naturelle
ou à l’entreprise Vilmorin
qui a commencé par un magasin
quai de la Mégisserie à Paris
où j’aimais bien aller traîner enfant
à la fin du vingtième siècle

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Les fausses cerises du faux laurier

Tout le monde vous connaît
Prunus laurocerasus
sans toujours savoir votre nom

Sempervirents aux feuilles cirées
arbres uniformes
rangés au garde-à-vous
j’ai du mal à vous aimer
ou à comprendre
l’affection que d’autres vous portent
comme à Stan Laurel

Il faut dire, je me suis inquiété
quand ma cadette s’est barbouillée
avec une amie de son âge
de vos fausses cerises
noyaux riches en cyanure
feuilles et racines aussi
et je suis rancunier

En somme laurelles
tellement habituelles
qu’on ne les voit plus
quand elles nous envahissent
subrepticement

Arbres in partibus
cerisiers de Trébizonde
selon Pierre Belon du Mans
acclimatés en Europe
au seizième siècle
vous apportez votre monotonie
jusqu’au fond des campagnes
et assez de poison
pour assassiner un cheval

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Exils du thuya

Photo Kalaloch Redcedar, Woodley Wonderworks

En Europe, pour masquer
nos médiocres châteaux
périphériques et empêcher
qu’on voie qu’il ne s’y passe rien
nous avons planté des haies opaques
de béton vert, nanifié, taillé, retaillé
Thuja occidentalis ou Thuja plicata
que les pépinières continuent à vendre

Son feuillage étrange et odorant
dont les écailles vertes ressemblent
à des arbres miniatures
formés d’autres arbres encore plus petits
remonte à des ères dinosauresques

Boudé par les oiseaux, acidifiant la terre
il repousse les insectes
sauf un, le bupreste du genévrier
qui l’a ajouté à son régime
et ne se gêne pas pour l’exterminer
Les thuyas américains sont déjà
interdits par certains de nos voisins

Au nord-est Thuja occidentalis, exporté
dans les bateaux de Jacques Cartier
et confondu avec l’annedda
qui a sauvé son équipage du scorbut
si bien qu’il se retrouve baptisé
Arbor vitae, arbre de vie
dans les jardins du roi François

Chez lui, il s’appelait grand-mère giizhik
avec grand-père bouleau
il protégeait les Ojibwas
dans ce monde-ci et dans l’autre

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Douce-amère

À Radio l’OMbre

Écrire simplement
« morelle douce-amère »
c’est déjà un poème
de la famille des volubiles
qui accroche aux arbres
feuilles, fruits et fleurs
simultanément

Tout de suite
amie solitaire, excentrique
de la fraîcheur du sous-bois
et des berges du torrent
robe de feuilles pointues et veloutées
étole de fleurs
violettes et jaunes
de fruits verts puis rouges
miniatures tomates de ciel
toxiques et hallucinantes

Piratant, petite More, elle
les branches des autres
y jetant ses grappins
à l’abordage, pourtant
beauté fragile, précaire
Pas si loin l’été calcine tout
et des forêts brûlent
de l’Ardèche à Brocéliande

Solanum dulcamara
Petite Maure, elle,
on soupçonne
qu’elle ensorcelle
ou empoisonne
car les fruits de sa sœur
mûrissent noirs

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Dizains de Lyon

J’ai vécu seul à Lyon, Robinson
donc en mauvaise compagnie
parfaitement étranger à la ville
ne connaissant rien
au-delà de la gare de Perrache
J’étais amoureux, et ma belle, ma moitié
était partie en Irlande du Nord
ce qui nourrissait mon obsession pour les Celtes
à Lugdunum, capitale des Gaules
dotée d’un double, Lugdunum Batavorum

C’était pour le service civil
des objecteurs de conscience
deux ans plutôt qu’un
Informé par un fascicule anarchiste
j’objectais ! je disais non, je niais, c’est un trait
d’union entre ce moi
de jadis et ce moi d’aujourd’hui
J’objectais à la perspective d’obéir
et de partager un dortoir
Solde de troufion, dans la ville

Il fallait quitter le domicile familial
Et si Paris n’allait plus offrir
que la répétition des mêmes épisodes
avec les mêmes personnages ?
J’ai habité la Croix-Rousse
sombre comme un héros
de Pouchkine ou de Dostoïevski
adepte d’ascèses compliquées
prêt à tout risquer, départ gare Saint-Paul
au casino de Charbonnières

Je crois que c’était rue Janin, pas Jules
mais je ne retrouve pas le vieil immeuble
juché au bord du gouffre, son escalier branlant
J’habitais au dernier étage
une tente de Bédouin pour me protéger
des plâtras qui tombaient du plafond
un évier en pierre avec de l’eau froide
En ce temps-là, j’imaginais des villes fantômes
sans me rendre compte que le fantôme
ce devait être moi, creux, vide

Un autre Janin de Lyon, Guillaume
accusé d’avoir cherché des trésors anciens
à l’aide d’esprits aériens
est pendu et brûlé pour sorcellerie
à Dijon vers mil sept cent quarante-cinq
Et François de Rosset a raconté d’Un démon
qui apparaissait en forme de damoiselle
au chevalier du guet de la ville de Lyon
De leur accointance charnelle,
et de la fin malheureuse qui en succéda

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Sainte Lucie de mahaleb

À André

Naïvement, il me semble
je m’obstine, vieil enfant
à demander le nom
des arbres qui m’entourent
pour les saluer, les reconnaître

Pourtant aujourd’hui, j’en découvre
un que j’avais sous les yeux
depuis des décennies sans le voir
faute de savoir l’appeler
Maintenant il vient à ma rencontre
aux lisières de chaque déambulation

Peut-être comme l’alisier blanc
l’amélanchier, le cornouiller
s’ingénie-t-il à remplacer
les vieux buis brûlés
par les chenilles de la pyrale

Écorce de cerisier quand il est jeune
qui noircit avec le temps
petites feuilles de bouleau ou de peuplier
finement dentelées, et surtout à l’été
d’étonnantes cerises miniatures
qui s’ancrent à angle droit sur les tiges
tant elles sont légères

D’où vient-il, Prunus mahaleb
ce voyageur trapu et chiffonné
bois de sainte Lucie ?
Pour une fois, ça paraît simple

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Le Chevalier véridique dans Le Matin d’Algérie

Le livre a paru il y a un moment, mais Djamal Guettala s’y est intéressé, et j’ai répondu à ses questions.

Chemin de la Mothuet

Il ne conduit pas au Mont-Saint-Michel
ou à Saint-Jacques-de-Compostelle
c’est un petit chemin parallèle
à la départementale deux cent onze
qui file à l’ombre des arbres
entre des parcelles agricoles
rigoureusement exploitées
où rien d’adventice ne survit

Il permet aux animaux non motorisés
d’éviter la route et ses dangers
et d’avancer dans un calme
secret, feuillu et enchanté

Poliment, il passe à distance des maisons
pour ne pas déranger leurs habitants
et c’est de loin qu’on aperçoit la Mine

On le retrouve au bout d’une petite route
au dos de l’imprimerie
Technigraphic où beaucoup de gens
du village ont travaillé, faisant les trois-huit
pour rentabiliser des machines coûteuses

Ça ventile bruyamment
mais quelques petits ormes
survivent sous la protection des chênes

À partir de la Grange rouge
plus de bitume
une spirale verte
qui entraîne au loin
entre les robiniers
vêtus de lierre
hauts comme des piliers d’église
et les érables champêtres

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Prunellier

À mes nièces Prunelle et Iris

Pour le prunellier,
je voudrais un poème simple et acéré
comme une épine
qui irait droit au cœur

Ou mieux encore plongerait en léthargie
les moteurs et machines
et l’on n’entendrait plus
que les pinsons et mésanges
Ils font du bien à l’âme humaine
qui se souvient d’avoir été oiselle

Jubilation fraîche
du premier printemps, prunellier
met ses dentelles
immaculées à sécher
blanches à contre-azur
sans feuilles, tout en fleurs
au bout des épines noires Continuer la lecture de « Prunellier »

Saule du nouvel an

À fréquenter le vieux
saule têtard chevelu
sorcier de la Gaule
au bord du terrain de foot
saule blanc, j’imagine
me revient toute la cohorte
des marais, rives et fossés
marsault, vime
osier multicolore
lusse, gravange
saule fragile

avec le saule
baguette d’Hermès
espérons voir l’an
gagner en légèreté
et souplesse, flexibilité, rebond
monter vers les cimes

avec le saule
découvrir les secrets d’endurance
et d’optimisme du castor
toujours à bâtir, à rebâtir
sans découragement
dopé à l’acide salicilyque
ou pas, pour l’année

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