Parce qu’il serait tragique qu’une seule des pensées qui traversent cet esprit d’exception se perdît, Marle Bévis, devenu vieux, tient un journal. Il y consigne ses idées noires, ses haines, médit de ses amis et de ses anciennes maîtresses, s’essaie au chantage et à la calomnie.
Pour notre plaisir, il y tient aussi un catalogue de ses maladies. Chacune des petites infirmités qui l’assaillent l’indigne. Elle participe du complot universel visant à lui nuire, à nier à son génie. En retour, il accable notre époque de son mépris, au point qu’elle peinera à s’en remettre. Avec l’âge, ses provocations deviennent plus frénétiques, il regrette parfois Torquemada, Mussolini ou la Préhistoire.
N’imaginez pas que Marle Bévis est au bout du rouleau ! Tel Victor Hugo, il a réussi, pas plus tard que le week-end dernier, à culbuter la nounou philippine de son petit-fils, sans qu’elle ose protester.
Il médite encore de grands projets, un « truc à foutre par terre les lettres françaises » ainsi qu’un prix littéraire destiné à détrôner le Goncourt.
Qui supportera la senteur un peu surie qu’exhalent ces pages sera récompensé par une poignée d’anecdotes attendrissantes sur le chien de Marle Bévis, plus aimable à ses yeux que tous ses contemporains.