Même s’il offre de belles cabanes
s’il ombrage des tombeaux célèbres
il se montre aux parcs et jardins
trop décoratif pour m’émouvoir
trop manifestement romantique
Il ne m’aurait pas intéressé
s’il ne s’appelait
Salix babylonica
saule de Babylone
Pourquoi de Babylone
alors qu’il vient de Chine ?
Encore un tour de Carl von Linné
qui connaissait son psaume cent trente-sept
sur le bout des doigts
et qui se rêvait en nouvel Adam
retrouvant les noms
cachés dans la création
Nos anciens en captivité
n’avaient pas envie de chanter
pour distraire leurs maîtres
Ils pleuraient assis
près des fleuves de Babylone
et ils avaient suspendu
leurs lyres aux saules de la rive
By the rivers of Babylon
claironnait Boney M
en l’année mille neuf cent soixante-dix-huit
de ma jeunesse
mais je ne savais pas
qu’ils reprenaient
les Melodians de mille neuf cent soixante-neuf
qui reprenaient eux-mêmes…
Mais cette version un peu édulcorée du psaume
oublie le saule
et encore autre chose
Je ne savais pas
à quel point ce psaume
devait parler aux esclaves noirs
exilés sur l’autre rive du monde
Je ne connaissais pas Verdi
et l’air Va, pensiero du Nabbuco
qui pend aussi des lyres aux saules
en mille huit cent quarante-deux
Et j’ignorais que ce psaume
magnifique et atroce
finissait en bénissant
celui qui fracasserait
les bébés de Babylone
sur le roc dur
Alors où est la lyre ?
je délire ?
je délire au saule ?
pas du tout
Voyez vous-même
remontez à la source
Il suffit
je suspends moi aussi
ma lyre au saule
pour me rappeler en silence
le pays d’enfance
dont je suis exilé