De l’aulne, le nom
un peu liquide
signale un arbre
qui se plaît
les racines dans l’eau
au point que sa présence
révèle dans le paysage
les contours des rivières
qui s’y cachent
Les résidents du bord de l’eau
marais, fontaines, ruisseaux
ont mauvaise réputation
et il court des bruits étranges
sur l’aulne comme sur le saule
ou le peuplier
Au sud, on dit verne ou vergne
comme le vieux Jules
de Vingt-mille Lieues sous les mers
Un monstre aquatique
nous observe-t-il, impavide
trempant négligemment
un tentacule dans l’onde ?
Mais l’aulne glutineux
bourgeons gluants de suc
déploie feuilles ovales, en forme de cœur
de cœur de cartes à jouer, du moins
échancrées à l’opposé
du pétiole
finement dentelées
Parle-t-il d’amour
dans une langue
qui nous échappe ?
Si j’observe les aulnes mes voisins
petit mystère
pourquoi semblent-ils
tous du même âge ?
Une plantation
en mille neuf cent soixante-dix ?
Je continue bêtement à imaginer
que le paysage est spontané
alors que ses arbres furent
sans doute
choisis, semés, plantés, émondés
Le roi des aulnes
« vêtu de brouillard »
par Charles Nodier
sème-t-il la terreur ?
Enlève-t-il des enfants ?
Un traducteur
semble-t-il
l’a confondu
belle erreur
avec un maléfique roi des elfes
S’il n’est pas contrarié
s’il n’est pas mené en taillis
sa forme idéale est un cône
L’hiver il porte encore
des sortes de petites pommes de pin
nommées strobiles
et serait le premier à fleurir
dès février
L’aulne surtout
devient rouge
à la coupe
comme nous
Mais le bois d’aulne
serait inaltérable
tant qu’on ne le sort pas de l’eau
et sur des échasses d’aulne
serait juché
tout le miracle de Venise
en sa lagune