Peter Bichsel non plus, je ne le connaissais pas. Ses Histoires enfantines, il a fallu qu’on me les lise, à voix haute, comme à un enfant, pour que je m’y convertisse. Dès lors, je suis entré dans le cercle réduit des zélateurs de cet étonnant recueil, parmi des étudiants d’origine suisse, des habitués du club des poètes, rue de Bourgogne à Paris, et quelques originaux perdus dans les campagnes.
C’est un livre qui est longtemps resté introuvable, épuisé dit-on… Pourtant aucune hémorragie n’avait vidé ses pages de leur sens et de leur non-sens, de leur drôlerie et de leur tristesse.
Il n’est pas exclu que les enfants prennent du plaisir à ces Kindergeschichten, mais leur candeur me paraît plus adaptée à une lecture d’adulte. Ils jouent au jeu par excellence, porter un regard étranger, un regard parfois froid, parfois tendre, mais résolument de biais, sur nos existences.
En témoignent les titres des sept récits méditatifs :
— La terre est ronde,
— Une table est une table,
— L’Amérique n’existe pas,
— L’inventeur,
— L’homme qui avait de la mémoire,
— Vous avez le bonjour de Yodok,
— L’homme qui ne voulait plus rien savoir.
C’est un grand-père hypothétique dont le langage et les souvenirs sont envahis par un nom, par un mot, de plus en plus obsédant au point qu’il finit par remplacer tous les autres. Ou bien, c’est le récit d’un mensonge sans conviction, une affaire de commodité ou de politesse, qui finit par persuader le monde de l’existence de l’Amérique, et encore l’histoire d’un homme qui veut faire le tour du monde en partant très exactement de chez lui, celle d’un inventeur voué à inventer des machines qui existent déjà.
De courts récits, drôles, acides, très distinctement traduits. Une fois qu’on les a lus, on a l’impression de les avoir toujours connus.
J’ai lu un autre livre de Peter Bichsel, j’en ai tout oublié, sauf le décor, alpin ou suisse.
Je ressens parfois une véritable panique, à l’idée que certains n’écriront jamais qu’un bon livre, qu’ils entourent inutilement de tomes superflus. Je ne sais pas si c’est son cas, si c’est le mien. Les Histoires enfantines avaient été publiées par les éditions Gallimard, et ont été heureusement rééditées par Le Nouvel Attila.
Article originellement paru dans Kwak, revue disparue de feue les éditions du Panama.