La nécessité de revenir à Nerval naît d’un remords de n’en avoir pas assez dit, et sans doute d’un mouvement de reprise plutôt nervalien, lui qui réutilisa, découpa, colla, réécrivit plusieurs fois les mêmes textes au sein d’une œuvre pourtant variée et abondante. M’apprivoisa à son étrangeté de premier abord le fait d’y retrouver le goût de mon grand-père Georges pour les généalogies imaginaires et les contes invérifiables sur les origines lointaines des noms de famille.
Je me souviens très bien que c’était l’été où, alors que j’étais d’une famille de la petite fonction publique, je travaillai pour la première fois en usine, à Sainte-Mère-l’Église, et où je découvris la vie et la solidarité du monde ouvrier. Avec mon premier salaire, je partis en Grèce, visitai Delphes, « La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance ? »
Me pousse aussi vers Nerval mon goût du sommeil et des songes, de l’inspiration remontée de leurs profondeurs troubles, et une rébellion très profonde contre le monde tel qu’il est, tel qu’il va, tel qu’on nous le vend.
Ah, construire à force d’écriture un espace, un véhicule contre lui, un petit château de Bohème, un château de briques à coins de pierre, un château des Brouillards en plein Montmartre ou mieux encore, car plus mobile et plus dynamique, quelque esquif, « mais j’aurais pu aussi bien naître sur un vaisseau » et Paris « porte dans ses armes le bari ou la nef mystique des Égyptiens », ou encore quelque ballon ascensionnel à la Nadar !
Son amitié tumultueuse avec le géant métis Alexandre Dumas, mélangée de rivalité littéraire et amoureuse, me le rend encore plus attachant : « au fait, comment se débarrasser de ce colosse ? Le frapper par derrière ne serait… pas loyal… Peut-être n’est-il pas aussi fort à l’épée, mais il a de si grandes jambes et de si grands bras !… »
Il aura tout donné à l’écriture, et ses habits sont trop grands pour moi, mais l’admirer, ai-je l’impression, me rend meilleur.