Je ne puis sans un profond étonnement et, dirai-je, sans un refus de mon intelligence, entendre attribuer, comme un titre de haute noblesse et de perfection, aux corps naturels, qui composent l’univers ce fait d’être impassible, immuable, inaltérable, etc., alors qu’on tient au contraire pour une grave imperfection le fait d’être altérable, engendrable, sujets aux mutations etc. Quant à moi, je tiens la Terre comme très noble et très digne d’être admirée, à cause précisément du nombre et de la diversité des altérations, mutations, générations, etc., qui s’y produisent sans cesse. Si elle n’était sujette à aucun changement, si elle n’était qu’un vaste désert ou un bloc de jaspe, ou si, après le déluge, les eaux n’avaient laissé d’elle qu’un immense bloc de cristal où rien, jamais, ne viendrait à naître, à s’altérer, se transformer, je n’y verrai plus qu’une lourde masse paresseuse, inutile au monde, superflue en un mot et comme étrangère à la nature, différente d’elle-même, à mes yeux, comme le serait un animal vivant d’un animal mort. Et j’en dis autant de la Lune, de Jupiter et de tous les autres astres. […]
Ceux qui exaltent tant l’incorruptibilité, l’inaltérabilité, etc., ne font, je crois que céder à leur grand désir de vivre le plus longtemps possible et à la terreur que leur inspire la mort ; ils n’avisent même pas que si les humains étaient immortels, leur tour ne serait pas venu de naître au monde : ils mériteraient de rencontrer une tête de Méduse qui les changerait en statues de jaspe ou de diamant pour les rendre plus parfaits qu’ils ne sont.
Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, traduction P. H. Michel (?), 1632.