Maeterlinck, Introduction à une psychologie des songes, 1886-1896.
L’homme agit toute sa vie comme on agit dans une maison où il y a eu une mort subite et suspecte. On ne parle pas de l’événement mais on ne pense qu’à l’événement. On n’agit pas ostensiblement en vue de l’événement mais toutes les actions, tous les préparatifs tournent autour de l’événement. On ne parle que de choses insignifiantes et l’on sait que ce que l’on dit ne se rapporte pas à ce que l’on dit.
Deux hommes qui se parlent ne parlent pas de ce qu’ils disent. On parle aux autres comme on parle à un honnête homme dont le père est sur l’échafaud. Ce que je fais ne se rapporte pas à ce que je fais. Et j’ai toute ma vie le visage d’un homme qui s’applique à construire un jouet pour un enfant mais qui a d’autres affaires. Tout homme sent qu’il a ce visage. Même pendant qu’il rêve car il est bien plus profond que son rêve. Ce visage est l’archétype de l’homme. La vie est très hagarde. On vit ainsi sur un énorme sous-entendu et il semble que l’on sache au fond de soi que les poètes et les sages qui venaient annoncer qu’ils allaient parler exclusivement de ce sous-entendu et l’expliquer n’y ont même pas fait allusion. Et on lit leurs explications en retrouvant sous ces explications, à la même place, le même sous-entendu. Et l’on n’agit que d’après ce sous-entendu. Et l’on a envers eux l’approbation et la reconnaissance passive qu’on a envers ceux qui ne parlent pas de corde dans la maison d’un pendu.
Mais le plus étrange c’est qu’il semble à certains moments que ce sous-entendu ne soit pas exactement le même chez l’homme et chez la femme.
Maeterlinck, Introduction à une psychologie des songes, 1886-1896.
Merci à Barbara Steiner, qui m’a fait découvrir ce texte.