Ayant déjà inventé
nostalgie des neiges d’antan
pour un roman tumultueux et triste
une fille à soldats acide
surnommée Sorbe
il fallut pourtant rencontrer
l’arbre en été
près de la Ferté-Vidame
en lisière d’une forêt
malmenée par la sécheresse
pour me consacrer
à l’arbre sorcier
et célébrer ses noces
avec l’oiseau
Comment penser
l’un sans l’autre ?
Surgit donc l’éclat désordonné
des grappes de sorbes
plus oranges que rouges
et l’élan du feuillage composé
porté par un fût dur et gris
par endroits moucheté
Sorbier des oiseaux premièrement
sorbus aucuparia
Linné, dix-sept-cent-cinquante-trois
cousin du cormier
épouse mythique du frêne
voisin de l’épicéa
tend son offrande
aux habitants du ciel
environné d’un vol
de fruits et fleurs emplumés
Merle, grive
fauvette allègre
pinson, tarin
rouge-gorge, loriot
gros ramier, geai criard
pie, mésange bleue
et une soixantaine d’autres
se pressent au festin
Oiseaux célèbrent
la fête de l’ornithochorie
assomption des graines
dans l’intimité
de leurs entrailles
macération et fumure
qui fait de chacun d’eux
un planteur d’arbre
Les sorbes marquées
d’une cicatrice
en étoile à cinq branches
subsistent en hiver
et leur couleur vive
sur fond de neige
a inspiré une légende ailée
Un aigle y affronte des démons
pour la manne d’immortalité
Les gouttes de sang et les plumes
perdues lors du combat
auraient engendré le sorbier
Son affinité avec la gent ailée
n’a pas longtemps échappé
aux chasseurs incapables
de consommer ses fruits crus
Lacets, filets, glue
ont piégé merle ou grive
Sorbier des oiseleurs
Envolé, l’avrelon
loin au nord, tout à l’ouest
jusque dans l’île d’Avallon
se nomme aussi rowan
ou « frêne des montagnes »
La magie se tisse différemment
dans les branches
divinatoire ou protectrice
d’un arbre à l’autre
d’un pays à l’autre
Poussé près des mégalithes
selon les botanistes
de jadis, timier
pas un brin rancunier
est un arbre sorcier
Anneaux ou cerceaux
de sorbier protègent
hommes et troupeaux
des maléfices, des fées
et des revenants
pourvu qu’on se soit procuré
le rameau
sans porter le couteau
contre l’arbre
sinon… péril !