Vie et aventures de Valentin L***

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Photographie de Serge-Philippe Lecourt

J’ai plusieurs fois rencontré dans l’Orne de vieux paysans dont la dignité, la pudeur et l’ironie me faisaient irrésistiblement penser aux lords anglais des romans de ma jeunesse. Valentin L*** était l’un d’entre eux. Un jour, il m’a raconté sa vie pour que je la note, parce qu’il craignait que ses arrière-petits-enfants n’en sachent rien. Le récit a été transmis, en voici une version légèrement modifiée.

Fils de Gaston et Lucille L***, issu d’une famille installée depuis très longtemps dans les environs de L*** (Orne), Valentin était un petit garçon tout blond. Ses parents se sont séparés quand il avait deux ans et demi, ce qui était peu courant à l’époque, et le tribunal a décidé qu’il vivrait chez son père. Celui-ci l’a confié à un couple de cousins, Gustave et Juliette D***, qui habitaient une modeste ferme en campagne, près de L***. Si Valentin voyait assez souvent son père qui habitait les environs, il voyait moins sa mère, qui avait déménagé du côté de L’Aigle. Au bout d’un temps, les D***, qui n’avaient pas d’autre enfant, ont fini par l’adopter. Pour aller à l’école, il faisait trois kilomètres à travers champs, jusqu’au village. En hiver, il apportait une bûche pour le poêle à bois qui chauffait la classe, tenue par l’instituteur M. Hocet. L’école de garçons comportait quarante-cinq élèves, l’école de filles à peu près autant. Une bêtise dont il se souvient : un jour, il a grimpé à un arbre pour voler des ce­rises. Avec des camarades, il jouait à attraper des hanne­tons, à les attacher par une patte à bâton et à les faire tourner. Continuer la lecture de « Vie et aventures de Valentin L*** »

Un futur d’utopie politique, écrit pour le spectacle À demain, de la compagnie des Grandes Personnes

Dans ce futur-ci, tout le monde a lu le Discours de la servitude volontaire qu’Étienne de la Boétie a écrit à dix-huit ans et en a compris la substance. Rien ne se faisait sans notre assentiment, sans notre passivité. Nous avons servi dans les armées du tyran qui nous opprimait. Nous avons confié notre argent aux banques qui nous ruinaient. Nous avons acheté les produits qui nous empoisonnaient. Nous avons payé les gardiens qui nous surveillaient Nous avons baillé devant nos propres miroirs à alouettes. Nous étions sans cesse complices du crime qui nous tuait, geôliers de la prison qui nous enfermait, agents de la domination qui nous accablait. Nous nous sommes réduits en esclavage, nous nous sommes colonisés nous-mêmes.
Pourtant la solution était simple, elle dormait à portée de la main. Il suffisait de se retirer de ce jeu, de ne plus le cautionner, de ne plus le nourrir, nous qui en étions le socle. « Alors ce grand colosse dont on avait brisé la base, a fondu sous son propre poids et s’est effondré. »

L’écrivain de fiction est un méchant diable

Preuves véridiques que l’écrivain de fiction est un méchant diable

Par ici, entre ses lignes, ça sent le soufre. D’abord l’insensé parle tout seul, il soliloque sans même savoir s’il a un auditoire. C’est très suspect. Il vendrait probablement son âme pour un bon mot, pour un beau livre. Il passe son temps penché sur des grimoires étranges et trace des incantations.

Pire, par ici, entre ces lignes que vous lisez, quelqu’un joue à être un autre que lui-même, il ira jusqu’à travestir son sexe, son âge. Si un masque passe à sa portée, il le happe, il l’arbore. Il est carnaval à lui tout seul. Quelquefois, il est assassin, quelquefois victime. Comme le démon des Évangiles, si on lui demande « Quel est ton nom ? » Il risque de répondre, « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux. » Être possédé, se dédoubler, c’est son quotidien.

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Épine noire, épine blanche

Après la disparition du givre
quelle nouvelle floraison
accroche aux branches
les mousselines immaculées
d’un nouveau printemps ?

Épine noire, épine blanche
mon cœur balance

L’épine noire du prunellier
est la première à fleurir
L’épine blanche
ou aubépine
est la plus parfumée

Elles fleurissent
sur les deux versants de l’imagination
aux deux versants d’avril
prunellier en mars
et aubépine en mai

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Laëtitia d’Ivan Jablonka ou la prétérition

Malgré ses qualités indéniables, il est bien possible que Laëtitia ou La Fin des hommes d’Ivan Jablonka repose essentiellement sur une seule figure de style, la prétérition, qui annonce qu’on va taire quelque chose pour fournir l’occasion de le dire. L’Oraison funèbre de Turenne de Fléchier en donne un exemple éclairant.

« N’attendez pas, Messieurs, que j’ouvre ici une scène tragique ; que je représente ce grand homme étendu sur ses propres trophées, que je découvre ce corps pâle et sanglant auprès duquel fume encore la foudre qui l’a frappé ; que je fasse crier son sang comme celui d’Abel et que j’expose à vos yeux les tristes images de la Religion et de la Patrie éplorée. »

Quoique le texte s’en défende, rien ne nous est réellement épargné du massacre et du démembrement de la jeune fille. Moralement, la prétérition est aussi l’outil rhétorique du Tartuffe, celui qui s’exclame « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » et fait surgir dans l’espace du texte l’objet de sa convoitise en réclamant qu’on le cache.

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Souvenirs de jadis, en marge des ateliers d’écriture l’Eau de là

Ces souvenirs qui nous emmènent du Perche à l’Arménie ou à l’Iran ont été recueillis lors des ateliers d’écriture et de parole l’Eau de là, avec le parc naturel du Perche et la Compagnie du théâtre, mais n’ont pas été publiés dans le livret. Les bêtises d’enfant, les cueillettes, la guerre, les guérisseurs, l’école, les percherons, les haies, le vélo, et bien sûr, les pommes, tout le monde d’avant est là.

Arméniens

S’il y a des Arméniens un peu partout, c’est à cause des génocides de 1915 et 1918. Il a fallu se sauver. Les Turcs ne veulent pas le reconnaître, parce qu’il y aurait des compensations, des terres à restituer.

Ma mère a vu son père tué devant ses yeux, mais les enfants ont été sauvés par des Américains qui les ont emmenés en bateau et les ont fait adopter. En bas du mont Ararat, il n’y a plus de gens, il n’y a que des coquelicots rouges, souvenir du sang des Arméniens.

 

Bêtises

Monter sur le petit mur qui séparait les garçons des filles à l’école ; démonter les rouleaux accrochés derrière le tracteur quand le paysan ne regardait pas, et observer, bien caché, la tête qu’il faisait quand il laissait son attelage derrière lui ; profiter de l’absence du propriétaire pour se mettre derrière le percheron Bayard, attelé à sa charrue, tracer un sillon en travers jusqu’au bout du champ et verser la charrue…

 

Bretoncelles

Odette a passé toute sa vie à Bretoncelles, depuis son mariage en 1968. Elle n’en est jamais sortie. Elle a travaillé à la ferme pendant quatre ans, puis à l’hôtel-restaurant. Mais elle connaît la Corvée-les-Ys, en Beauce.

Dans le pays, on reste sur le pas de la porte. On cause en ouvrant le panneau du haut de la porte fermière, mais celui du bas reste fermé, on n’entre pas.

 

Cueillettes

— Il y avait les escargots. Un jour un ramasseur qui les vendait aux restaurants en avait six cents, de gros bourgognes. Les gosses ont vu ça, ils ont fait pareil, ils en ont ramassé autant que possible, les ont vendus et m’ont acheté un cadeau pour la fête des mères. C’était de l’argent honnêtement gagné.

Les gamins allaient aussi chercher du muguet, pour le vendre.

Et les pissenlits, au printemps, quand c’est tendre, les feuilles de pissenlit, surtout après les labours, quand elles avaient été cachées et qu’elles avaient blanchi. On les cuisinait avec de l’ail, des œufs.

Le tilleul, bien sûr, et les fleurs d’acacia, pour les beignets, c’est tellement bon.

Et surtout les champignons, les rosés-des-prés, les morilles, il y en avait davantage. Les morilles, on les trouvait autour d’une souche de pommier qui se défait, une vieille trogne. Les gens de Bretoncelles venaient les chercher dans notre champ. Oh non, on les vendait pas, on le mangeait avec du veau ! Saint-Victor-de-Buthon, c’était bien pour les morilles.

— Oh, ceux qui trouvaient des morilles, c’étaient surtout les menteurs.

Les cèpes, il y en a qui y allaient…

— Les mûres, le sureau, c’est des trucs de Parisiens. Ils mangeraient n’importe quoi, du cynorhodon, des prunelles. C’est point fait pour nous. On me disait « Si tu manges des mûres, tu vas avoir des poux. »

— Moi, en tout cas, j’en mangeais. Gamins, on mangeait de tout. Les prunelles, après la première gelée ; les mûres ; les nèfles, comme ça, l’hiver, aussi après les gelées, quand elles sont molles ; et les petites groseilles sauvages, qui sont souvent blanches.

— Il faut des haies, et beaucoup sont tombées, comme à Coulonges-les-Sablons.

Avec les orties, on fait de la soupe, en ajoutant un peu de crème fraîche. On les cueillait avec des gants, ou on les prenait d’en dessous pour ne pas se piquer. On les faisait fondre à la poêle ou on les mettait directement à la casserole.

 

Dindes et dindons

Mais si, on en élevait, il y en avait dans les fermes. Et on mangeait une dinde rôtie à Noël !

 

Éclairage

Nous avons habité des maisons sans électricité, l’éclairage se faisait à la lampe à pétrole, avec une petite lampe pigeon, par exemple. Et les devoirs pour l’école se faisaient autour de la lampe. Dehors, pour éclairer, on utilisait des lampes à carbure.

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Supposons une forme poétique ancienne, le randon, d’où découlerait le mot « randonnée »

Si faisant fi des préambules
on procède
on marche

Puisqu’on marche, vous et moi
cela suppose une distance
une durée soustraite à d’autres activités
Nous nous sommes évadés
Nous consommons une rupture sans éclat
avec ceux qui ne marchent pas

Si laissant voitures, chevaux, mulets
si faisant fi des préambules
on procède
on marche
on chemine

Le marcheur
par sa lenteur
agrandit l’espace
Il avance sous un ciel plus vaste

Il y a une lenteur assumée
une autre attention
un autre respect pour les flaques, les bornes
les arbres, les montées, les descentes
les fossés, les plantes adventices
les pierres, les cailloux
les alternances d’ombre et de soleil
la bogue de châtaigne Continuer la lecture de « Supposons une forme poétique ancienne, le randon, d’où découlerait le mot « randonnée » »

L’érable brouillon

Érable champêtre, chez Gallica

Mon érable n’est pas américain
Nulle cabane à sucre
Rien à inciser
Pas de suc délectable
Il ne figure sur aucun drapeau
Il n’est pas non plus
le majestueux érable sycomore
ni l’érable plane
certainement vénérables
probablement admirables

Car ma préférence va
à l’érable champêtre et tors
banal dans la haie
en bordure de pré
en bordure de terre arable
aussi bien en pays sec
que mouillé

Acer campestre
champêtre
ou un de ces mots
désignant les paysans
et pour certains devenus
des insultes
Érable rustique
cul-terreux
péquenot
bouseux
vilain
païen

Son étymologie est incertaine
Porte-t-il le suffixe en –able
du faisable ? Continuer la lecture de « L’érable brouillon »