J’ai été une jeune fille du temps jadis

Comme les autres enfants de mon temps, affalé, j’ai lu des « illustrés » comme on disait, en vrac, Tintin ou Gaston Lagaffe d’André Franquin, un vrai rebelle lui, mollement mais définitivement insurgé contre les obligations les plus élémentaires de la vie. Je plongeai tout un été dans les westerns nordiques de la grande forêt, Le Tueur de daims, Le Dernier des Mohicans, Le Lac Ontario, Les Pionniers, La Prairie de Fenimore Cooper, suivant des coureurs des bois à travers un monde nostalgique qui se savait voué à disparaître ; je les relirais bien des années plus tard en même temps que mon fils, et ils n’auraient rien perdu de leur saveur.
Il y eut aussi les romans de la comtesse de Ségur, avec une vague impression de dégoût à la lecture des Malheurs de Sophie, mais de l’enthousiasme pour Le Colonel Dourakine, déjà les Russes ! Sans famille d’Hector Malot, tiré de la bibliothèque de ma grand-mère, me fait encore rêver ; Les Cinq Sous de Lavarède de Paul d’Ivoi, délicieux de fantaisie, mais aussi la série des Jalna de la Canadienne Mazo de la Roche, des torrents d’eau de rose et de nature sauvage, et première lecture sans doute d’une scène érotique un peu floue (si du moins on exclut du genre les fessées de la comtesse de Ségur), que j’imagine commencée sous l’orage, dans des vêtements trempés, poursuivie au coin de la cheminée massive du manoir vaguement gothique de Jalna… Mon Amie Flicka, Le Fils de Flicka, etc. de Mary O’Hara, pour les chevaux, et surtout les paysages imaginaires du Wyoming. Continuer la lecture de « J’ai été une jeune fille du temps jadis »

Les échasses d’aulne

Photo de Yannick Morhan

De l’aulne, le nom
un peu liquide
signale un arbre
qui se plaît
les racines dans l’eau
au point que sa présence
révèle dans le paysage
les contours des rivières
qui s’y cachent

Les résidents du bord de l’eau
marais, fontaines, ruisseaux
ont mauvaise réputation
et il court des bruits étranges
sur l’aulne comme sur le saule
ou le peuplier

Au sud, on dit verne ou vergne
comme le vieux Jules
de Vingt-mille Lieues sous les mers
Un monstre aquatique
nous observe-t-il, impavide
trempant négligemment
un tentacule dans l’onde ? Continuer la lecture de « Les échasses d’aulne »

« 38 » un poème de Layli Long Soldier

Personne ne me l’a demandé, mais par sympathie, par révolte, par nervosité, par curiosité, j’ai traduit ce poème épique, drôle et triste de Layli Long Soldier sur les Dakota 38, dont l’original anglais se trouve ici, onbeing.org/poetry Par hasard il rappelle les événements d’un 26 décembre.

Ici, la phrase sera respectée.

Je composerai chaque phrase avec soin, conservant à l’esprit ce que les règles de l’écriture édictent.

Par exemple, toutes les phrases commenceront par une majuscule.

Toutes les sentences commenceront par une capitale.

De même, l’histoire dans la phrase recevra les honneurs d’une ponctuation appropriée en son extrémité, un point ou un point d’interrogation qui marquera l’accomplissement (temporaire) d’une idée.

De même l’histoire de la sentence…

Il vous importe peut-être de savoir que je ne considère pas ceci comme une « création ».

En d’autres mots, à mes yeux, il ne s’agit pas d’un poème inspiré ou d’une œuvre de fiction.

D’ailleurs, on n’y théâtralisera pas les événements historiques pour les rendre passionnants.

Donc, ma responsabilité s’exerce surtout sur la phrase, sur son ordre, elle qui convoie la pensée.

Ces préalables achevés, je commence :

Il est possible qu’on vous ait déjà parlé des 38 Dakotas.

Si c’est la première fois qu’on vous en parle, vous vous demandez sans doute, que sont les « 38 Dakotas » ? Continuer la lecture de « « 38 » un poème de Layli Long Soldier »

Thèse et antithèse du gui

Présent toute l’année
mais plus évident
par temps de ciel laiteux
peint à la grisaille
temps de neige

Sempervirent
ce toxique nous atteindrait au cœur
précipitant ses battements
comme le baiser
sous son feuillage clairsemé
sous le gui échangé
baiser et non suçon
de petit vampire vert
assoiffé de sève

Que viens-tu faire
demandera-t-on au rimailleur
pousse méprisée et méprisable
petit parasite
dans ce sentier
déjà emprunté
par Francis Ponge
« Le gui la glu »
dont tu sembles
tout imprégné ?
Continuer la lecture de « Thèse et antithèse du gui »

Face au texte : entre les lignes

Pattes de mouche,
Le signe nous laisse perplexe
autant qu’un singe, un texte de loi

Sans tambour ni trompette
sans que résonnent les trois coups
sans ouverture de rideau rouge
entrent les lignes

Sur le sable de la page
simples traces de pas
d’un visiteur solitaire
L’homme qui parle tout seul
s’est perdu dans le lointain

Deux sortes de textes
les uns sont clos, inaccessibles
comme protégés par une vitre
Les autres, le lecteur peut s’y inscrire
parce qu’une place est laissée
entre les lignes

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Ballade du tilleul

Volé à Yannick, http://www.crokfun.com
Volé à Yannick, http://www.crokfun.com

Tilleul n’es-tu
qu’arbre de cour d’école
de jardin public
facile à tailler
souvent mutilé
familier et vaguement ennuyeux ?

N’es-tu que bois blanc,
sans fermeté
un nom un peu mouillé
quelques samares
à l’automne dispersées ?

Si le café me convient
davantage
que l’infusion
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Raisons de choisir un hêtre

Pour être à la hauteur
bien qu’il ne soit pas du bois
dont on fait les charpentes
il faut que je gravisse la pente
que j’aille jusqu’à la forêt

Car ici, on ne le voit
ni dans le bois
ni dans la haie
D’ailleurs Linné le baptisa
Fagus sylvatica
hêtre des forêts

Ainsi le hêtre est une essence…
L’être et l’essence
voilà qui paraît compliqué
pour un géant lisse et gris
qui ne se demande pas
s’il est hêtre
s’il pourrait être mieux qu’un hêtre
s’il devrait être
autrement

Selon les temps et les lieux
il s’appelle tout à la fois
hêtre, fayard, fou, fau

Raisons de choisir un hêtre
plutôt que le néant ?
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Prière à la haie

Eh, foin du thuya !
du laurier palme
de ces murs verts
taillés carrés
sans caractère !

Vivent les haies vives
d’essences variées
demi-sauvages
dont nul ne songe
à domestiquer
la hauteur !

Par tous les temps
les arbres font la haie
debout, sans lassitude
avec parfois quelque émoi
Un frisson dans le vent
Une rumeur dans la pluie

La haie raconte de
vieilles histoires de découpage
de frontière
de délimitation
de dots
d’héritages
d’avant
le remembrement

Haie
es-tu perspective
monde en deux dimensions ?

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