Blanc, le frêne

Élancée, éprise de symétrie
cette essence nordique
porte une feuille composée
qui rassemble plusieurs petites feuilles
appelées folioles
comme celle du sureau ou du robinier
Où l’on est heureux d’apprendre
que ce qui paraît multiple
forme parfois un tout

Son feuillage
se faisait fourrage
Si le foin venait à manquer
on coupait ses rameaux
pour nourrir les animaux

Une étymologie de fantaisie
l’associe à la foudre
Selon Pline l’Ancien
les serpents fuyaient son ombre

On dit aussi que l’arbre Yggdrasil
l’axe du monde des anciens Scandinaves
était un frêne
unissant ciel, terre et enfers
Elfes habitant la cime
aigle dans la ramure
serpent monstrueux dans les racines
D’ailleurs ton accent circonflexe
cache bien un « S », ô frêne,
anciennement « fresne »
Arbre tremblant
arbre du monde

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Noir sureau

Sombre et tavelé
dans la haie, appuyé à la ruine
ou au bord du ruisseau
sur le bord du fossé
voici le sureau
dont le feuillage, dit-on
exhale une odeur sure

Accroupi dans un recoin de mon enfance
noueux et cassant
plus buisson ou arbuste qu’arbre
celui-ci ne vous donnera
ni bois de chauffage
ni planche, ni piquet

Ami de l’ortie et de la ronce
il est de ces voisins
à qui l’on n’accorde pas un regard
même, on le bafoue
le bouscule, le rabat
Le fermier le soir
pisse dessus sans se gêner
reste-t-il indifférent
à ces mauvais traitements ?

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L’acacia falsifié

L’acacia m’apprend-on est un faux acacia
Quoi, notre monnaie serait de la fausse monnaie ?
notre prophète, un faux prophète ?
Qu’il est troublant
de voir un arbre plutôt familier
ainsi dénoncé

Le nom acacia pourtant
comme l’arbre, portait épine
signale l’étymologie
du verbe sanskrit
piquer ou percer

Le grammairien Gilles Ménage
pense qu’il vient de Barbarie
et l’appelle acacia robini
acacia de Robin
Robin quoi ?
Robin des bois ?

Carl von Linné
plus avisé
le baptise
robinier faux acacia
mais Robin pourquoi ?

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Va châtaignier

Qui place une bûche de châtaignier dans son feu se verra récompensé par des détonations sèches, des projections d’escarbilles enflammées. Est-ce l’indice d’un tempérament incendiaire ? Dès l’abord, faut-il craindre avalanche de châtaignes, marrons, castagne féroce ? De vrai les piquants des bogues sont hostiles, le fruit explose s’il n’est pas incisé, et jusqu’aux jeunes feuilles gaufrées, lancéolées, qui présentent comme des dents de scie. C’est un rebelle, un irascible.
Assurément, si l’arbre tentateur du jardin d’Eden avait été un châtaignier, et qu’Ève avait proposé à Adam de mordre dans ce fruit dur et armé, — Jamais de la vie, mon aimée ! l’humanité aurait continué à vivre nue et sans péché.
Comme la nôtre, son écorce d’abord lisse et douce, se fendille et se plisse avec l’âge ; s’il est comme nous dur au labeur, s’il ne répugne pas aux besognes modestes, être planté en piquet, en échalas, tendre un parquet, porter les tuiles en lattis, son bois, contrairement au nôtre, est réputé imputrescible, et le châtaignier souvent reste debout, même mort.
Comme il repart bien de la souche, on le voit souvent en taillis, plutôt jeune, mais si on respecte son intégrité, si on lui laisse la place, le châtaignier vivra bien mille ans, et nous construira un géant bien ramuré.
S’il est plus cévenol, plus ardéchois que normand, on le rencontre tout de même ici, pas dans la vallée et dans la glaise, mais au flanc des collines, dans les sablonnières, parmi les silex, et, en saison, les châtaignes dévalent dans les chemins creux.
Provende à écureuils, à cochons ? Pas seulement, « chauds les marrons ! », crie-t-on en hiver, dans les villes. Quant aux campagnes, farine et pain aux époques de disette. Une fois par an, ces fruits rustiques et frustres se muent même en sucreries de luxe.
Si j’estime le châtaignier, ce n’est pas seulement parce que j’espère, comme lui, une fois défunt, faire exploser la chaudière du crématorium ; parce qu’il est, comme moi, plus apparenté au hérisson qu’à l’ours en peluche, c’est aussi à cause de la couleur, châtain, de la chevelure d’une que j’aimai jadis.

Photo : Châtaignier Petit-Jean © Eddie Awalludin

Mille Soleils

Jacquou le CroquantC’est l’époque où la collection pour la jeunesse des éditions Gallimard, « Mille Soleils », est entrée chez nous en nombre, une idée de notre père. Il y avait parmi ces livres d’un format un peu inhabituel, pourvus d’une jaquette illustrée, des titres de Ray Bradbury, auteur pour lequel j’allais avoir une affection constante, et Jacquou le Croquant d’Eugène Le Roy un écrivain dont je ne sais rien. Là encore, j’appréciai l’esprit de révolte, car le croquant brûle le château et manque de violer la châtelaine, et je m’irritai d’une morale naïve sur l’amour, car j’étais déjà définitivement opposé aux maximes modérées et raisonnables, surtout quand il était question d’amour.
C’est l’âge où je découvre que beaucoup de textes pour la jeunesse sont tronqués, adaptés, raccourcis, et cela me scandalise. Qui a décidé de me priver d’une partie d’un texte que j’adore ? Qui l’a censuré et dénaturé, insultant à la fois l’auteur et le jeune lecteur que j’étais ? Il me semble que la collection Mille Soleils portait la mention que j’appris très vite à guetter et à exiger : « texte intégral ». La cuistrerie des éditeurs continue à sévir, et ils ne préviennent pas toujours : il est difficile de trouver une édition complète de La Vie de Monsieur Descartes d’Adrien Baillet, des Mémoires de Monsieur d’Artagnan, savoureux apocryphe de Gatien Courtilz de Sandras, et la série des Pardaillan de Michel Zévaco circule dans une édition du Livre de Poche, sévèrement expurgée. Certains éditeurs s’en sont faits une spécialité, la collection « Le Temps retrouvé » au Mercure de France a raccourci nombre de précieux auteurs avec l’ardeur d’une guillotine pendant la Terreur.

Une vie dans les livres

L’ambiguïté et le Club des cinq, dans la « Bibliothèque rose »

Le Club des cinq et le Trésor de l'îleQuel titre ? Difficile à savoir, j’en ai lu plusieurs, et comme ils se ressemblent tous, ils se confondent dans mon souvenir en un seul livre.
J’imagine d’ailleurs parfois que tous les livres, quels que soient leur genre et leur qualité, forment une unique et vaste étendue textuelle, qu’ils sont tous contigus. Ce grand paysage de prose ressemble à La Prairie, le dernier roman du cycle de Fenimore Cooper. Comme le Chasseur de daim, je me tiens débout, appuyé sur ma longue carabine, vieillissant et solitaire guetteur de l’immense plaine du texte.
S’agit-il du tout premier, Le Club des cinq et le Trésor de l’île ? Tous appartiennent à ces productions populaires dont le ressort semble être le retour de l’identique, le plaisir régressif de lire toujours la même histoire, comme les romans sentimentaux des éditions Harlequin que dévorait ma tante Françoise, dont l’héroïne finissait toujours dans le lit de l’homme riche qui lui avait paru méprisant et inaccessible. Il y a dans ce ressassement quelque chose de vertigineux.
Les épisodes du Club des cinq, Famous Five en anglais, prétendent avoir un auteur, Enid Blyton, prénom et nom tout à fait indéchiffrables pour moi à l’époque. Je pensais que c’était un homme, alors que c’est une femme ; je le croyais français, égaré par ce texte qui était davantage une adaptation qu’une traduction, alors qu’elle est anglaise… La Cornouaille britannique y était transformée en Bretagne française, si mes souvenirs ne me trompent pas. Mais croyais-je réellement à l’existence d’Enid Blyton ? L’auteur d’un texte n’est-il pas aussi fictif que les histoires qu’il trame ? D’ailleurs sa traductrice française, Claude Voilier, a écrit un certain nombre de titres sous ce nom. Ne me reste de cette lecture que la figure de la fille qui est présentée comme un garçon manqué. Son prénom dans la version française est ambigu, Claude (tiens, celui de la traductrice), comme Enid l’était pour moi à l’époque. Entêtée, un peu colérique, parfois boudeuse, Claude est le seul personnage intéressant, et j’éprouvais peu d’intérêt pour ses compagnons ou pour le chien, Dagobert. Ce premier roman que je lus en entier me donna un léger mal de tête, pendant le silence d’un après-midi d’été à Quimiac (Loire atlantique), alors que j’étais caché au « garage » qui n’était plus un garage, mais qui abritait tout de même pendant la mauvaise saison le bateau de mon grand-père Jean, une barque à mât baptisée « l’Arche de Noé » dont le nom assimilait plaisamment ses enfants et ses petits-enfants à des animaux.
J’en éprouvais du vertige et de l’exaltation, la sensation d’avoir passé une frontière, ouvert un espace passionnant et solitaire. Les procédés d’accroche de la parole rapportée paraissaient délicieusement littéraires à mon ignorance, je n’avais jamais entendu personne parler ainsi : « répliqua-t-il », « cria-t-il », « chuchota-t-elle ». Je crois que nous en fîmes un jeu avec mon frère Christophe, dès qu’il fut en âge de lire lui aussi.
Liz et BethBien plus tard, nous fûmes surpris de découvrir que Jean Sidobre, l’illustrateur français du Club des Cinq à partir de 1971, mais aussi de la série Alice dans la « Bibliothèque verte » (attribuée à Caroline Quine qui, elle, semble-t-il, n’existe pas), avait aussi fait carrière dans la bande dessinée scabreuse, avec des héroïnes faussement anglaises, comme Claude était faussement française, Liz & Beth, dotées de visages identiques à ceux de ses héroïnes pour enfants, mais moins vêtues et pourvues d’appas plus développés. Ces bandes dessinées sont, dans un autre genre, tout aussi naïves et illisibles que le Club des cinq. Jean Sidobre les a-t-il dessinées par révolte contre l’univers enfantin et asexué dans lequel il était enfermé ?

Une vie dans les livres

La peur et la poésie comme programme

Edgar Poe
Venu d’où ? chu de quel ciel nocturne ? un autre genre de lecture a traversé ma jeunesse. Le premier pas, la première marche de l’escalier de la crypte s’est présentée sous la forme d’un épais volume des éditions Marabout avec une couverture où figure un œil injecté de sang et, je ne sais plus quoi, un poignard, un corbeau ? J’aime toujours les couvertures naïves et criardes des livres publiés par les éditions Marabout dans les années 70. Les Contes d’Edgar Allan Poe traduits par Charles Baudelaire, un modèle d’affinités littéraires entre deux écrivains qui, pour autant que je sache, ne se sont jamais parlé ni écrit. J’ai vécu intensément les tourments des héros de Poe, leurs cauchemars, scruté les enquêtes du chevalier Dupin. Était-ce dans cet épais volume que je découvris La Philosophie de la composition, dans laquelle Poe développe les principes qu’il aurait appliqués à l’écriture du poème « Le Corbeau » ? En tout cas, cette lecture m’initia à la poésie, à celle de Poe, à celle de Baudelaire. Je m’intéressai dès lors sérieusement à l’anglais, et je crois que le volume, le relief, l’originalité de ces mots étrangers m’ont permis de mieux percevoir, par un détour, ceux de ma propre langue. Après les contes de Poe, après Les Fleurs du mal, je lus avec fièvre et inquiétude les récits de Howard Philips Lovecraft qui m’impressionnèrent beaucoup. Qu’ont-ils en commun ? Lovecraft a certainement lu Poe avec attention, ils ont tous deux des identités doubles, des enfances compliquées, de l’attirance pour les gouffres, une imagination sans fond. Le racisme est diffus chez l’un, fondamental chez l’autre où il se mêle à l’horreur du corps et de tout ce qui est étranger. Pourtant l’essai de Lovecraft, Épouvante et Surnaturel en littérature m’a servi pendant des années de programme de lecture. Il m’emmena loin dans le fantastique et gothique anglo-saxon, Le Moine de Matthew Gregory Lewis, Melmoth l’Errant de Charles Robert Mathurin, les Contes d’Arthur Machen, Dracula de Bram Stoker, l’étonnante et méconnue Fille du roi des Elfes de Lord Dunsany, publiée en 1924, bien avant Tolkien, et puis Les Romantiques de la nuit, un cahier de l’Herne, c’était l’époque, sans doute dirigé par Annie Lebrun. Lovecraft n’oubliait pas le domaine germanique, et suivant ses pas, je découvris E. T. A. Hoffmann, un écrivain selon mon cœur, dont j’épousai la dévotion pour l’art et la hantise de l’échec, et Gustav Meyrink, mystérieux carrefour d’influences, qui me poussa vers la littérature yiddish, en même temps que vers l’Angleterre élisabéthaine, on y revient.
Mon snobisme instinctif m’orientait vers l’Angleterre, et j’étais furieusement anglophile, jusqu’à lire Ann Radcliffe, jusqu’à envisager sérieusement de demander le statut de réfugié politique en Grande Bretagne. Le premier livre en anglais que je lus, First Love, Last Rites de Ian McEwan ne ressemblait à rien de ce que je connaissais et me parut franchement inconvenant, mais je ne tardais pas à découvrir la poésie de W. H. Auden, dont certains traits, à la fois néo-classiques et ironiques, m’enchantaient, puis Charles Dickens, les portes d’un nouvel empire où le soleil ne se coucherait jamais.
Mais pourquoi ce choix de l’effroi ? me demandera-t-on avec raison, car c’est la question centrale. Pour le dire en un mot, parce que j’étais saisi par un effroi comparable devant la perspective de devenir adulte, d’habiter dans le monde que nos pères nous avaient préparé, de continuer à vivre.

Une vie dans les livres

La Guerre et la Paix, roman de l’été

Sans titre Je ne sais plus si j’avais dix ou onze ans, si c’était avant ou après Les Misérables. Ce fut le début d’une prédilection pour le roman russe et pour l’époque napoléonienne. La lecture a encore comme cadre l’été, quinze jours ou un mois, avec Tolstoï. Le saisissement a oblitéré l’endroit où je passais mes vacances. La neige et le champ de bataille de Borodino, avec davantage de figurants que le cinéma n’a jamais pu en payer, les salons avec leurs chandelles, contrastent en tout cas avec la lumière et la chaleur du mois de juillet ou d’août.
Petit je-sais-tout, snob encore haut comme trois pommes, je me prenais pour un prince russe en exil. Je me sentais profondément seul, et j’en tirais une sorte de sentiment de supériorité qui devait me rendre plutôt antipathique. Si j’essaie de calculer le nombre de livres que j’ai lus à cet âge-là, il est évident que je passais le plus clair de mon temps à lire, allongé dans mon lit, assis chez moi ou dans le bus, dans le métro ou à l’école, et même en marchant dans la rue. À force d’entraînement, je réussissais même à traverser la rue sans cesser de lire. Je lisais vite, et j’imagine parfois que le léger défaut de convergence de mes yeux me permettait de lire plusieurs lignes en même temps. Cette petite infirmité possédait un autre avantage, elle me permettait de brouiller à volonté le monde extérieur, de le rendre flou et indéchiffrable, de le tenir à distance.
J’étais un lecteur insatiable, et mon père encouragea régulièrement ce vice à l’époque où il n’habitait plus avec nous. Je me souviens d’anniversaires pour lesquels il m’emmenait à la toute nouvelle FNAC des Halles. À l’époque c’était une authentique librairie et non un supermarché, et il me laissait choisir à peu près autant de livres que je pouvais en porter dans mes deux mains.
J’aimais jusqu’aux livres que je ne comprenais pas, je trouvais ce défi à mon intelligence et à mes connaissances stimulant, car je nourrissais le rêve secret et impossible de tout lire, tout savoir, comme si j’étais l’un des géants de Rabelais, d’où mon affection pour les dictionnaires, pour les encyclopédies et pour les collections de Larousse qui tiennent des deux à la fois.

Une vie dans les livres

Dissidences Van Gogh

Nos agents dénoncent un climat de sédition, l’intervention d’agitateurs venus de l’étranger.
D’un côté, attention à l’homme de paille, à l’homme moissonné, à l’explosion de colère des fétus, si nombreux qu’ils obscurcissent le ciel d’été, qu’ils rendent l’air irrespirable. Attention à l’homme de paille qui joue avec les allumettes. Attention aux épouvantails, secs, piquants, poussiéreux, traînant leur piquet, secouant leurs haillons. Ce sont les messagers d’un soleil aussi brûlant qu’un gouffre qui menace d’avaler le paysage.
D’un autre côté, amer et écumant, l’homme-sandwich devenu immangeable et illisible, fort de son âpre solitude, revendique l’effacement des boulevards et l’aplanissement des immeubles. Au-dessus de lui les étoiles filent comme des comètes. Gare à l’homme-sandwich, disent nos agents, il ôtera le pain de la bouche.
Derrière encore, ajoutent-ils, gare à l’homme à la mer, ruisselant, les mains et la barbe pleines de goémon ; avec lui, eau saumâtre, crabes dans les lits et oursins dans les yeux ! Partout, il est suivi par l’homme-grenouille aux caresses visqueuses. Les larmes coulent ; les eaux gonflent ; les rivières débordent.
Car l’émeute gronde ! L’homme à abattre s’est levé, l’homme écran débranché. De concert, ils marchent, l’homme bourdonnant et l’homme tronc, l’homme à tout faire et l’homme de main, l’homme de peu de foi avec la femme de rien, la dame de pique, la femme légère et la femme de tête.
Nous avons peur, écrivent nos agents, car nous n’avons aucun secours à attendre du nouvel homme fort ni de la dame de fer, terrés dans leur palais.
Les séditieux veulent, cessant d’être des personnages secondaires, cessant d’être des prête-noms, comme un seul homme, comme une seule femme, donner de la tête contre les fondations jusqu’à jeter l’édifice à bas. Il serait irréparable, préviennent nos agents.

Hugo collégien

lesmisérableshugo_0Les Misérables en six ou huit volumes, notre premier livre acheté chez le libraire spécialisé dans le livre ancien rue Lagrange, « L’Île mystérieuse, librairie Jules Verne » chez qui j’avais enfin osé entrer, en compagnie de mon frère Christophe. Hugo est longtemps resté pour moi l’incarnation de l’écrivain ; sa prose et ses vers, le moule de toute littérature ; sa démesure et son maximalisme, une ligne de conduite esthétique ; son opposition farouche à l’empire, son exil et son refus de la peine de mort, un modèle moral. Je l’aime encore, même si j’ai compris depuis qu’il appartenait au calendrier des saints d’un catéchisme républicain aussi attachant que simpliste.
Alors que j’aimais ce qui était neuf, comme la plupart des jeunes gens de l’époque, alors que j’étais parfois contrarié de porter des pantalons ou des anoraks qui avaient déjà servi à toute une ribambelle de cousins plus âgés avant moi, les livres anciens ne me paraissaient ni vétustes ni démodés. Au contraire, ils exerçaient une séduction particulière, comme s’ils étaient autant de grimoires magiques.
Je me souviens d’avoir remarqué la netteté de l’impression, dont les caractères faisaient comme un léger relief sur la page, la qualité du papier, sans doute réalisé à partir de chiffons. Nous n’avions pas assez d’argent, mais le libraire, dont j’ignorais à l’époque le nom, touché par notre jeunesse et notre enthousiasme, s’est contenté de ce que nous avions. Continuer la lecture de « Hugo collégien »