Les cahiers de Marle Bévis : 1. Développement personnel

Si Marle Bévis écrit, il ne compte pas perdre son temps avec les poètes désargentés. C’est forcément un best-seller qu’il prépare. Un coup d’œil à la liste des meilleures ventes et c’est entendu, il entreprend un manuel de développement personnel.
Par chance, cela ne présente aucune difficulté pour Marle Bévis. Son moi a déjà atteint son degré de développement maximal, il occupe tout l’espace disponible, ne laissant de place, à l’intérieur de lui-même, pour personne d’autre.
Il choisit un titre beau, simple et classique : À la découverte de soi-même.
Marle Bévis ne met pas la charrue avant les bœufs : il rédige une table de matières qui suffira à convaincre un éditeur et lui vaudra assurément une avance confortable sur les droits d’auteur. Il y a douze chapitres.

  • Pour vivre heureux, vivons aveugles
  • La vérité a déserté le puits
  • Collision avec un miroir, sept ans de malheur !
  • Florilège d’idées noires
  • Liste de vos infamies, trahisons et autres impostures
  • Votre moi est-il plus haïssable que celui d’un autre ?
  • Autant fouiller une poubelle
  • Se haïr soi-même, la clé pour mieux détester les autres
  • Vaut-il mieux souffrir que ne pas être
  • Quelles dernières paroles pour ne pas mourir idiot ?
  • Quelle épitaphe pour votre pierre tombale ?
  • Au fond du gouffre, le néant

Marle Bévis n’a pas peur, son caractère est bien trempé. Sans hésitation, il déconstruit, désosse, déshabille, déchante. Pour la couverture, il envisage quelque chose de bleu pâle, avec une touche de rose, une colombe ou un arbre.

Face au texte : l’illisible

isib, illi, illisible,
S’ils ne sont pas organisés suivant une séquence connue les signes deviennent illisibles.
Suivanisé, organt, séquille, lisence.
Et pourtant, tentation de les démonter, de brouiller le message, d’effacer les pistes.

Mortes


Nécessaire réfutation
Par une nuit venteuse, il est apparu que les feuilles qui se détachent des arbres ne sont pas mortes pour autant, pour l’autan.
D’où une nécessaire réfutation du qualificatif « morte ».
Dentelées, gladiées, lancéolées, lyrées, pennées, avec leur vol dense, avec leur tourbillon d’ailes de chauves souris, elles guerroient, elles dansent, et le doute n’est plus permis.
Vives, elles courent, jusqu’à ce que la pluie les alourdisse et les colle au sol, comme autant de petits Icare, dont le désir de liberté aurait été châtié par l’automne.

Ateliers d’écriture dans le Perche

En 2016, j’animerai des ateliers d’écriture sur le thème de « L’eau de là », à l’initiative la Compagnie du théâtre et du Parc naturel régional du Perche, dans plusieurs lieux. Sont confirmés pour l’instant :
le vendredi 22 janvier : 20h-22h puis le samedi 30 janvier : 10h-12h à la médiathèque du val d’Huisne, au Theil sur Huisne.
Le samedi 30 janvier 2016, 15h-17h et le samedi 06 février 2016, 15h-17h, à la bibliothèque de Bretoncelles.

Vous êtes conviés à un atelier d’écriture et de parole gratuit avec le romancier et auteur de théâtre de rue Jean-Baptiste Evette pour examiner comment un récit, une émotion, une sensation peuvent se transformer en texte ou même en poème, individuel ou collectif. Que vous souhaitiez prendre la plume, jouer avec les mots, apporter un document, une image, ou simplement raconter une histoire, un souvenir, vous êtes les bienvenus. Le thème prévu est l’eau, de la rivière à la source, sans oublier les poissons, les ondines ou les moulins. Peut-on rêver sujet plus porteur, plus profond et plus mystérieux ?
Cette aventure créative ne se fera pas sans vous.

Face au texte : métalinguistique

Parmi les pouvoirs de la langue, celui de s’emparer d’elle-même.
Et se retrouve avec des mots auxquels voudrait faire dire autre chose que ce que prévoit le dictionnaire.
Comment les colorer, les gauchir, pour qu’ils se plient à son intention ?
Susciter (avec la langue) de nouveaux voisinages, assembler « boire » et « déboire » ?
Changer leur câblage pour que s’éclairent différemment préfixe, racine, pour que certaines potentialités s’avivent et d’autres s’éteignent, pour que le courant du sens les parcoure différemment, une fois leurs polarités inversées. Mots électriques ?
Ainsi voudrait qu’ « interdire » signifiât « dire entre les mots, dire entre les lignes », bref glisser un sens nouveau dans un interstice.
Comment convaincre le lecteur d’accepter ces altérations ? Suffira-t-il de le prendre de haut ? Qui fera siennes les interdictions manuscrites dans l’interligne ?

Ce qui n’existe pas.

Note dans un carnet perdu, reconstituée de mémoire.
Parmi les qualités d’un [objet], l’existence n’est pas forcément la plus importante, ni la plus efficiente. Les dieux, par exemple, n’ont pas forcément besoin d’exister pour posséder d’autres qualités (beauté, profondeur et cruauté) et une efficacité manifeste, mais ce n’est pas aux dieux que je pensais au premier titre… Peut-être aux fées, à certains héros ou à certaines abstractions.

Naguère comme aujourd’hui, le choix du noir

Vous vous prenez la tête dans les mains, vous tâchez de voir et de savoir. Vous êtes à la fenêtre dans l’inconnu. De toutes parts les épaisseurs des effets et des causes, amoncelées les unes derrière les autres, vous enveloppent de brume. L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir.
William Shakespeare, Victor Hugo.

Face au texte : à contre-courant

S’il se croit auteur, si on le baptise parfois ainsi, c’est en réalité la langue des autres qui le parle, l’écrit, écrit par sa main, investit ses pages, fait de lui sa marionnette. Quel bond, quelle contorsion, quelle détente de serpent ou de mante religieuse, il lui faudrait pour la ressaisir, l’empoigner, la faire sienne enfin !
À rebrousse-poil, à contre-courant, dans les remous et dans l’écume, qu’il cherche en amont un point d’équilibre, une source plus vive.

Face au texte : jubilation brouillonne

Donna le signal, l’auteur, d’un tir de pistolet, mais les mots, avec une jubilation brouillonne, s’élancèrent en désordre et durent interrompre leur course, verbe en tête : faux départ.
La mine du crayon casse, la langue fourche, la phrase reste sur le bout de la langue. Dans quel état le texte est-il retrouvé ?
Pourtant, ébauchant, gommant, rayant, recouvrant, ajoutant, soulignant, on provoque des accidents, des frictions dont jaillissent des étincelles de sens et de beauté. Elles réchauffent, et qui sait le brasier qu’elles pourraient allumer ?