Le temps requis pour un arbre

Photo Pierre-Alain Touge
La difficulté, quand on écrit à propos des arbres, c’est le temps requis pour que pousse le texte. Il faut qu’il germe d’un noyau, d’un simple pépin, concis et hermétique, où il gît endormi, tout entier en potentialité. Lançant à l’aveugle une radicule, petite racine, que la linguistique nommerait plutôt radical ou lexème, il tente un ancrage dans le réel, une agrégation à d’autres mots.

Si cet essai réussit, une tigelle s’érige, minuscule début, terminé par deux cotylédons, d’un mot grec qui signifie « cavité », tant il est vrai que tout cela se passe dans un creux. Les cotylédons ressemblent à des feuilles, mais n’en sont pas. Et combien de fois nous lâchons le texte pour son ombre. Cotylédon dit-on aussi dans le domaine de l’embryologie et du mystère de l’enfantement.

C’est un moment d’intense fragilité, un rien peut assécher cette pousse, la tuer et l’envoyer rejoindre l’immense cimetière intérieur des poèmes rêvés plutôt qu’écrits. Si peu d’entre eux deviendront des arbres aux grandes ramures !

Pendant cette période hivernale, le germe se nourrit essentiellement de lui-même, dans un solipsisme qui exclut tout lecteur. L’ombre, l’humidité et le secret lui sont indispensables : une affaire souterraine et ténébreuse qui macère, qui fermente.

Puis deux feuilles, véritables cette fois-ci, se déploient. Pour elles, on parle de nervures, de limbe, de marge. Tout est question de limites, et le texte n’existe que par ce qu’il exclut. Il se retranche du reste, s’innerve, se tisse.

Et quelquefois cette étrange chimie produit le miracle d’un arbre qui devient solide en restant vivant, dont l’ombrage abrite, oxygène, avec invention de feuilles par dizaines, sur lesquelles la Sibylle écrit ses oracles livrés au vent.

Souvenir d’Ancêtres, création collective à Aubervilliers

Sept ateliers d’écriture menés au foyer du théâtre de la Commune à Aubervilliers fin 2012 et début 2013 avec des publics accueillis par l’Association Solidarité Emploi d’Aubervilliers (ASEA) et des résidents du nord de la région parisienne ont conduit à l’élaboration d’un spectacle d’objet qui aborde des sujets très divers, le mariage, l’enfantement, les amours contrariées, la colonisation, l’exode vers les villes. Où l’on s’aperçoit que les ancêtres choisis ont pour la plupart transgressé à un moment clé de leur vie les normes sociales en vigueur dans leur région, ce qui les a transformés en voyageurs et en fondateurs !

Habiter sous l’écorce

Un jour, lassé d’être homme, on aspire à quelque chose de moins bavard, de plus charpenté, on veut habiter sous l’écorce, dans les téguments du bois. Montrer visage et tête de bois, déployer force de chêne. Choisir son lieu et s’y ancrer. Accéder à d’autres conciliablules, d’autres mystères par la circulation forte et silencieuse de la sève.

Quelques vers de « Zone » d’Apollinaire et tout est là…

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à vingt-cinq centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers

J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J’aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes

Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant
Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc
Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize
Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église
Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège

Têtards, trognes et trognards

Ces colosses aux tronches burinées et aux membres noueux ont grandi dans les haies, les prés et au bord des étangs. Parfois pieds dans l’eau, parfois racines saillantes, têtards, trognes ou trognards cultivent la largeur plus que la hauteur. Étêtés, mais non dépourvus de visage et d’esprit, ils arborent fièrement les cicatrices des tailles qui ont produit, sans les affaiblir, fagots, piquets, manches d’outil. Trapus et hirsutes, vraiment rustiques, ils sont plus gaulois que français, tant ils ont peu en commun avec la géométrie raffinée des ifs et des buis dans les parcs. Eux, ils sont chênes, charmes, peupliers ou saules, et leurs jardiniers furent paysans.

Au château de Chamarande, dans l’Essonne

J’ai été invité à parler de Tuer Napoléon III par Emmmanuel Couly, dans le cadre de l’émission « Une ville des livres », au château de Chamarande dans l’Essonne. C’était la propriété de Persigny, un temps ministre de l’Intérieur de l’usurpateur. Vingt-cinq minutes pour parler d’un livre, c’est un luxe rare, j’imagine, même si je connais mal la télévision.