Mai à Valenciennes

J’ai été cordialement invité par l’association « Festi-Livres Nord » au salon du livre de Valenciennes les 14, 15 et 16 mai 2009 et j’y serai assurément, si le démon ne m’étouffe pas d’ici là.

P.-S. J’en reviens et j’ai été accueilli avec une générosité et un intérêt rares.

André Hardellet, en des lieux qui me sont chers

Trois pénitents qui longeaient le charnier des Innocents viennent de fondre tels des cônes de suif. Le dernier rat regagne son trou. C’en est fait : toute trace d’existence a été escamotée de la ville. Non, pourtant : sur une place un charlatan coiffé d’un chapeau pointu exécute ses tours sans prêter d’importance à l’absence du public. Sa figure reflète une extrême duplicité. Tandis qu’il fait éclore des roses subites entre ses mains une musique fluette s’égrène.
Je l’accompagne dans la demeure où il pénètre bientôt. Ici tout baigne dans une clarté lunaire. Des voûtes de feuillage constellé remplacent les plafonds, des arbres figurent les piliers d’un cloître. Le magicien s’esquive mais, à sa place, apparaît une nonne splendide, qui se dévêt sous mes yeux. Lorsque, presque nue, je veux la rejoindre, elle s’enfuit. Et le couloir qu’elle emprunte pour m’échapper débouche subitement en plein soleil, sur ce jour de 1951 où j’écris — rue Nicolas Flamel.
André Hardellet, « Film en partie censuré », La Cité montgol, Poésie Gallimard.

Jean Tardieu : « Extrait du journal d’un homme méfiant »

« … Il serait temps que je commence à écrire ces notes à l’envers, comme Léonard de Vinci, pour dérouter les indiscrets, et surtout l’Indiscret. (Vous savez bien: Celui qui… Mais suffit !)

Vu l’importance du Bonhomme, allons plus loin : pas seulement les lettres à l’envers, ni les mots, mais les pensées elles-mêmes ! Car il faut toujours déjouer Ses ruses.

S’Il lui prend envie, pendant que j’écris, de regarder par-dessus mon épaule, je veux qu’Il ne comprenne rien à ce qu’Il lira.

À dater de ce jour, 21 juin 19…, je commence un nouveau chapitre de ce Journal Intime, en écrivant le contraire de ce que j’éprouve, de ce que je pense.

Qui sera bien attrapé ? »

Jean Tardieu, La part de l’ombre, Poésie/Gallimard, 1972.

J’ai jadis croisé un poète certainement maudit nommé Alain Morin

Il s’appelait Alain Morin, je l’ai très peu connu. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, il est tout à fait oublié, sans doute. Il a écrit une page à laquelle je repense souvent, à cause de ce qu’elle dit de simple et de profond sur la poésie.

Depuis, je me figure souvent le poème comme un texte inscrit sur une boule de papier froissé. On voit certains mots en surface, mais nombreux sont ceux qui se trouvent, invisibles, en dessous. Et l’on peut tenter de déplier le poème, comme on déplie la feuille.

J’écris une phrase et froisse en boule la feuille de papier. Je la vois s’épanouir lentement et respirer sur la table. Elle ne peut être cette sphère parfaite dont je rêve. Il faudrait modeler ses contours en la compressant longuement et fortement dans ses mains. Ainsi la surface plane peut devenir un volume écrit à l’intérieur. Je songe à un livre sphérique dont quelques uns connaîtraient le contenu, la charge abstraite, un secret comprimé dont nul n’oserait défroisser la grandeur signifiante et qui irradierait par la seule volonté de l’écriture emprisonnée dans sa beauté.

Alain Morin, Solitude d’été, André De Rache éditeur, Bruxelles, 1980.

J’ai dans ma bibliothèque d’autres recueils : Alain Morin, OPAQUE précédé de LES GRANDS FROIDS (préface d’Yves Martin), éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975 ; LE BOXEUR DE L’OMBRE (préface d’Edmond Humeau), fagne, collection in-octavo, Bruxelles, 1975, et encore l’écriture lumière, poèmes, éditions actuelles formes et langages, Uzès, 1970.

Au dos on lit ceci :

Parfois l’impression du mot est telle
Qu’il apparaît en intaille au verso de la page.
Le mot traverse toutes les pages du livre
Le bois de la table
Le sol
La terre.

Vertu des arbres

Plus je te vois, plus j’aime les arbres. Tu causes, tu menaces, tu ironises, tu cries, tu insultes ; ils se taisent, tout au plus ponctuent-ils le silence.
Tu gesticules ; ils penchent parfois, par grand vent.
Tu bats des bras comme un moulin ; ils n’effraient pas les oiseaux.
Tu cours, tu files, on croirait que tu cherches à échapper à ton ombre, tu veux être partout à la fois ; ils demeurent.
Tu n’es que surface ; ils sont profondeur. Tu égratignes ; ils creusent.
Tu échauffes ; ils rafraîchissent. Tu me pompes l’air ; ils l’oxygènent.
Pour toi ne valent que le neuf, le récent, le bruyant ; ils pérennisent.
Tu fermes, tu claquemures ; il s’étendent et il s’offrent.
Tu es une sorte d’enfant malfaisant poussé en graine ; ils sont grands.

Photographie de P.-A. Touge

Actualité de Rollerball de Norman Jewison (1975)

Dans ce curieux film américain avec James Caan, tout à la fois voyeur et dénonciateur du voyeurisme, ce qui semble être une constante du cinéma, tous les livres ont disparu, parce qu’ils ont été numérisés ou mieux résumés sur des ordinateurs. À la suite d’une panne, cependant, tout le XIIIe siècle a été perdu. L’informaticien en chef l’avoue avec candeur, d’ailleurs ce n’est pas très grave, explique-t-il, car le XIIIe siècle n’était pas très intéressant, seulement quelques papes pervers et Dante…
J’ai parfois très peur de la panne d’électricité !

Fascinant « Facino Cane », ou le retour à Balzac pour une leçon sur l’art du roman

Chez moi, l’observation était déjà devenue intuitive, elle pénétrait l’âme sans négliger le corps ; ou plutôt elle saisissait si bien les détails extérieurs qu’elle allait sur-le-champ au-delà ; elle me donnait la faculté de vivre la vie de l’individu sur lequel elle s’exerçait en me permettant de me substituer à lui comme le derviche des Mille et une Nuits prenait le corps et l’âme des personnes sur lesquelles il prononçait certaines paroles.

Balzac, Facino Cane.

Une nuit d’hiver, on se souvient de Valéry Larbaud et d’A. O. Barnabooth

MADAME TUSSAUD’S

Il me semble que toute la sagesse du monde
Est dans les yeux de ces bonshommes en cire.
Je voudrais être enfermé là toute une nuit,
Une nuit d’hiver, par mégarde,
Surtout dans la salle des criminels,
Des bons criminels en cire,
Faces luisantes, yeux ternes, et corps — en quoi ?
Mais, est-ce que ça leur ressemble vraiment ?
Alors pourquoi les a-t-on enfermées, électrocutées ou pendus,
Pendant que leur image muette reste ici ?
Avec des yeux qui ne peuvent pas dire les horreurs souffertes,
Mais qui rencontrent des yeux partout, sans fin, sans fin.
Les ferment-ils au moins la nuit ?

Valéry Larbaud, Les Poésies d’A.O. Barnabooth