Illustration : Elizabeth Blackwell, Herbarium Blackwellianum, Nuremberg, 1765.
Il est déjà là, le temps des baies
avec l’avance que l’on sait
Sur la robe encore verte de la haie
colliers, guirlandes, festons
vrilles, serpentins et rubans
aigrettes, plumets
perles et pierreries baroques
rouges, violettes ou noires
Un noir de jais pour le deuil
de nos étés sans brûlure ?
Pousse une vérité emmêlée
concurrente ou symbiotique
de grains, d’akènes, de drupes
Breloques, dentelles sur la robe
de la danseuse verte
En hiver, quand la haie sera nue
ses os de bois uniquement
cachés par la feuille de lierre
elle conservera cependant ses bijoux
d’églantier, bryone ou tamier
Volubiles, certaines s’enroulent
à dextre d’autres à senestre
parfois, se cramponnent
s’accrochent, s’aiguillonnent
avec des griffes
à leurs voisines
ou inventent des adhésifs
sophistiqués
et les emballent de feuilles
et de fleurs éphémères
Enroulements de
bryone, liseron
ronce, houblon
églantier, clématite, tamier
corolles et feuilles
en forme de vigne
ou de cœur
Marie de France
célèbre le bel amour
du chèvrefeuille
et du coudrier
Parmi les guirlandes
d’éloquentes fées
parfois déguisées en bergères
comme dans L’Astrée
d’Honoré d’Urfé
nous parlent
d’honnête amitié
de confitures et de gelées
D’autres sont sorcières
et tendent au passant
un fruit aussi séduisant
qu’empoisonné
Avant de picorer
les yeux fermés
mieux vaut le savoir
Vigne noire
couleuvrée
herbe aux femmes battues
manchettes de la Vierge
rosier des chiens
belle-de-jour
Parle avec elles
Les magiciennes
aux yeux cernés
lasses d’être brutalisées
thésaurisent sous le sol
des rhizomes cachés
aux formes tourmentées
Navets du diable
Celui de la bryone
selon le Petit Albert
colporté partout
depuis le dix-septième siècle
prend parfois figure humaine
Déterré un lundi de printemps
quand la lune est
en conjonction avec Jupiter
ou en aspect aimable avec Vénus
coupé aux extrémités
comme pour le transplanter
enterré dans une tombe humaine
arrosé à l’aube chaque jour
pendant un mois
avec du lait de vache
dans lequel on aura noyé
trois chauves-souris
déterré à nouveau et séché
à un feu de verveine
enveloppé dans un
morceau de linceul
il devient mandragore !
La chance
nous sourira
tant que nous l’aurons
en poche, mais gare
si nous la perdons !