En dévalant la pente
vieillesse, tristesse,
pierres qui roulent en avalanche
peut-on s’accrocher aux branches
d’un arbre
Nous retiendront-elles
au-dessus du gouffre ?
Quelle joie dans le catalpa
dont le nom commence,
je ne l’ignore pas
comme catastrophe
et finit comme mea culpa ?
À vrai dire
je tombe de paulownia
en catalpa
Leurs grandes feuilles
se ressemblent un peu
et offrent le même
rafraîchissant ombrage
mais les graines du premier
habitent des capsules arrondies
tandis que celles du second
pendent dans de spectaculaires
haricots géants que le botaniste
appelle siliques
Une feuille de catalpa
sèche sur ma table
à côté des dictionnaires
lisse au recto
duvet au verso
et je crois qu’elle communique
avec les pages
Catalpa n’est pas d’ici
c’est important pour ma rêverie
Certes, vite poussé
il ombrage les jeux d’enfants
et l’univers trop minéral
d’une petite cité de La Ferté
dans la Sarthe
et nombre de banlieues
mais il provient
Floride et Caroline
d’une Amérique encore
largement peuplée
par ses habitants d’origine
Mark Catesby, Anglais
après deux voyages aux Amériques
en rapporta des plants
et travailla des années
à une Histoire naturelle
dans laquelle il l’illustra
avec deux oiseaux
mil sept cent vingt-neuf
C’est lui, je crois
qui nota le nom « catalpa »
sûrement un mot amérindien
mais selon les sources
comme on dit
l’explication varie
Catawba, Muscogee
Creek ou Cherokee
Ou n’importe quoi
débité doctement
L’existence sauvage
et naturelle de l’arbre
ses fréquentations
ses usages, ses rêves
se perdent dans une brume
proprement coloniale
ses témoins déportés
ou assassinés
Quelque chose de l’arbre
reste toujours
inaccessible
On peut aussi imaginer
que Catesby a demandé
le nom de l’arbre
à un guide amérindien
migraineux
qui a répondu
« Tais-toi donc »
ca-tal-pa dans sa langue
Catalpa bignonioides
détermina Thomas Walter
dans sa Flora Caroliniana
mil sept cent quatre vingt-huit
C’est imprononçable
En tout cas, l’arbre impressionna
Chateaubriand
Pour lui, il ressemblait
à un vieux sage des Natchez
et il en planta
un dans son parc
de la Vallée-aux-loups
Puis, il y eut aux États-Unis
une sorte de fièvre industrielle
Partout, on en cultiva
puis, plus ou moins, on l’oublia
sauf s’il nourrit des chenilles
qui servent aux pêcheurs d’appât
Je bavarde, catastrophe
mea culpa
et pas un mot encore
pour la floraison spectaculaire
blanche, marquée de violet
D’après Catesby
elle ressemble à la digitale
Gribouillant ces strophes
j’ai réalisé
que j’avais déjà photographié
au jardin des plantes de Paris
près de la rue Cuvier
un vieux catalpa
au tronc torsadé
sans l’avoir identifié
Je crois le reconnaître, plus jeune
sur la gravure qui illustre
Les Natchez chez Degorce-Cadot
Est-ce qu’il m’a parlé
quel message à travers les siècles ?
Je ne le saurais
que si je me tais
Combien de temps
Floride et Caroline
au prix de quelle torsion
rétablit-on l’équilibre ?