Mort d’un titan en janvier

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Rugosité, textures, tourments et cicatrices, voilà un arbre qui ne respire pas la sérénité. Son torse démesuré, ses bras noueux et pesants sont ceux des esclaves inachevés qu’a sculptés Michel-Ange pour le tombeau d’un pape.
Est-ce un Atlas porteur de la terre et du ciel ? En tout cas, Il est tendu par une fureur immobile de titan enchaîné, un élan fixe qui prend feu en flammes et tourbillons lignés, d’une « beauté convulsive » et « explosante fixe » aurait dit André Breton.
Tout le mystère de la densité et de la matière s’offre là. Chêne s’il en est, triomphant malgré tout, mort debout, encore puissamment planté, il lève des bras féroces.
Il tombera d’un seul bloc, face contre terre, longtemps après la disparition de ceux qui l’ont patiemment ébranché. Et, il sera beau et étonnant, encore, même une fois couché, tout un monde pour le peuple de champignons, d’insectes, d’animalcules qu’il hébergera.
(photographie de P.-A. Touge)

Le danseur de novembre

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Farouche, il se hausse, d’un bond se relance, grimpe et zigzague vers davantage de lumière, fourche et s’ébouriffe, comme une foudre végétale montée lentement à l’assaut du ciel.
Sur son écorce une blessure trace comme un œil unique, la marque de quelle branche absente, la cicatrice de quel combat ?
(photographie de P.-A. Touge)

La complainte de l’arbre

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Est-ce que réellement j’habite le même pays que vous ? J’ai peine à croire que nos racines s’ancrent dans le même sol, que nos branches poussent dans le même air. Nous ne sommes pas faits du même bois. Je m’agite, je m’indigne, je bouillonne devant des spectacles qui vous indiffèrent. Je songe me déterrer, à m’exiler loin de vous.

Photographie de P.-A.Touge

J’ai deux amours, Fantômas et Desnos

LA GRANDE COMPLAINTE DE FANTOMAS
PROLOGUE
I
Ecoutez, faites silence!
La triste énumération
De tous les forfaits sans nom,
Des tortures, des violences,
Toujours impunis, hélas!
Du criminel Fantômas!
II
LA STUPEFACTION DU MINISTRE
Lady Beltham, sa maîtresse
Le vit tuer son mari,
Car il les avait surpris
Au milieu de leurs caresses.
Il coula le paquebot
«Lancaster» au fond des eaux.
III
L’EXECUTION DU SOSIE
Cent personnes il assassine,
Mais Juve aidé de Fandor
Va lui faire subir son sort.
Enfin sur la guillotine!…
Mais un acteur très bien grimé
A sa place est exécuté.
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Une sorte de début de roman pour juillet

Tout commence de manière plutôt anodine ; c’est dans la rue d’une ville ordinaire. On voit passer un individu trop grand, dont les enjambées font trembler le sol et dont le regard est impossible à soutenir. Il y en a un, puis deux, puis trois et d’autres encore. Leurs mouvements ont quelque chose d’imparfait comme si leurs corps n’étaient que des formes empruntées ou imitées. Est-ce que c’est une campagne publicitaire ? Une manifestation ? Personne ne réussit à leur parler ni à les arrêter. Manifestement ils ne sont pas d’ici, mais on ne sait pas d’où ils viennent ; on ignore comment ils ont surgi dans ce coin de l’espace. Peut-être observent-ils ; peut-être essaient-ils de se faire une idée, de rassembler des éléments qui leur serviront…
Un jour, ils lancent leur attaque. Les lampes et les écrans s’éteignent; les voix se taisent, les moteurs s’arrêtent, les avions tombent comme des pierres, les canons s’enrayent. Ils n’ont aucun mal à balayer les défenses qu’on leur oppose, ils anéantissent les résistances, brisent les volontés.
Finalement, ils réduisent les hommes en esclavage et les marquent d’un chiffre au front. Tout devient silence et soumission. La vie continue, mais il n’y a plus de décisions à prendre, plus de liberté. D’une certaine manière, tout est devenu plus simple.
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Rendons à Tardieu ce qui est à Tardieu

La plupart des idées que je crois avoir appartiennent en réalité à d’autres, mais je n’en éprouve pas de déception, plutôt un sentiment de connivence et de gratitude.

Les préfixes

À mesure que je vois
j’oublie j’oublie
j’oublie tout ce que je vois.

À mesure que je pense
je dépense je dépense !

À mesure que je vis
je dévie je dévie !

À mesure que je meurs
je demeure je demeure.

Jean Tardieu, Monsieur Monsieur, 1951.

Un extrait de Rue de la femme sans tête

Non! — Je disais, je répétais, non! J’étais le négateur, le veuf,
le ténébreux. Je disais non. Je ne savais pas si j’avais raison mais je
m’obstinais à nier, à contrarier. Sans doute étais-je resté bloqué à
un stade de l’enfance ou dans la deuxième partie d’une de ces
dissertations qu’on m’avait fait écrire au lycée. Je ne dialectiquais
pas; je ne dépassais pas. Je n’étais pas le fils de Nietzsche, j’étais le
fils de Nicht ! C’était ma pose et ma vérité. Je ne savais pas dépasser
le nihilisme, le culte du refus. J’étais resté au fond; j’appréciais
l’absence de sens du monde et j’emmerdais les philosophes. J’avais
peur des mensonges; je ne voulais pas me compromettre. Alors
faute de mieux, je niais et je reniais, avec fureur, en espérant qu’il
en resterait une trace. Je niais jusqu’à la vie, jusqu’au plus
élémentaire bon sens. Je me niais moi-même. Peut-être qu’ainsi
une ombre de vérité continuerait à m’accompagner.
C’était comme si j’avais été oublié au fond de la casserole,
dans un petit purgatoire : j’avais attaché et j’avais noirci. La colère
ne me quittait pas; elle marchait dans mes pas. J’allais m’obstiner;
j’allais les défier.