Sus, sus, enfants ! qu’on empoigne la coupe !
Je suis crevé de manger de la soupe.
Du vin ! du vin ! cependant qu’il est frais,
Verse, garçon, verse jusqu’aux bords,
Car je veux chiffler à longs traits
À la santé des vivants et des morts.
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Un texte inédit et passablement déplaisant, pour août
Ton visage n’est pas probant ; il est mou, inachevé, ni jeune ni vieux, difficile à reconnaître et difficile à mémoriser. La silhouette n’est guère caractéristique non plus… Tu es petit, mais pas assez pour que cela en fasse un signe distinctif.
D’où mon problème, sans doute… Pour l’instant les murs du centre et les médicaments t’ont tenu à distance, mais un jour, tu me retrouveras, je le crains. Tu te faufileras, tu passeras entre les barreaux…
La première fois que je t’ai tué, je devais avoir dix ans, au camping du bord de l’Ardèche. Tu m’as dit quelque chose, je parviens plus à me souvenir quoi, mais c’était désagréable et vexant ; certainement un truc grave, comme « Tu n’existes pas » ou « Tu ne mérites pas de vivre ». Nous étions sur la grève, au milieu des galets, maigres et gauches dans nos maillots de bain. J’ai ramassé une pierre, la plus grosse que j’ai pu, si grosse même qu’on a eu du mal à le croire par la suite. Je l’ai abattue sur ta tête, qui a craqué, qui s’est déformée sous le choc. La force du coup t’a jeté dans l’eau, gamin désarticulé, pauvre poupée. La pierre ensanglantée a fait un bruit mat en retombant sur les galets. L’eau a rougi. On a en parlé dans le quotidien régional, j’ai vu les articles jaunis, longtemps après.
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Supermarché en chantier
Bienvenue au grand palais du néant :
parallélépipède posé là
qui ne ressemble à rien
Pas de rythme dans la façade :
le concept de fenêtre lui échappe
il connaît seulement la porte
Le supermarché est ceint de places de stationnement
rangées comme des tombes dans un cimetière militaire
(quelquefois cependant en épis ou en quinconce)
La dialectique du parking veut toujours inscrire
le plus de voitures possibles dans un espace donné
comme les corps dans le cimetière
En guise de cénotaphes
les cahutes qui abritent les chariots
Ils sont enchaînés les uns aux autres
comme jadis les forçats
qu’on emmenait vers leurs lieux d’embarquement
Guère de plaisir à les libérer cependant
À côté de la porte, toujours les remugles malodorants
(une hallucination olfactive persistante ?)
comme à l’entrée d’un local à poubelles
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Étrange
Fruit d’une nouvelle collaboration avec la compagnie Les Grandes Personnes, le spectacle confidentiel intitulé « À la corde (première époque) » s’est joué samedi 1er et dimanche 2 juillet, pendant les folies de Maubeuge. « À la Corde » raconte le fil d’une vie, depuis la naissance, jusqu’à l’exil, avec de nombreuses sculptures. C’est une sorte de cinéma d’avant le cinéma, avec une voix vivante (http://www.lesgrandespersonnes.org/).
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Encore un poème de Ginsberg et un supermarché
(Ça me fascine; j’ai bien l’impression que nous manquons de poèmes qui évoquent les supermarchés.)
UN SUPERMARCHÉ EN CALIFORNIE
Voilà ce qui me vient à ton propos ce soir, Walt Whitman, car j’ai arpenté les contre-allées, gêné par un mal de tête, et j’ai regardé la pleine lune à travers les arbres.
Fatigué et affamé, cherchant des images à consommer, je suis entré dans un supermarché aux fruits de néon, en rêvant à tes énumérations !
Quelles pêches et quelles éclipses ! Des familles entières qui font leur course en pleine nuit ! Des allées pleines de maris ! Les femmes dans les avocats, les bébés dans les tomates — et toi, Garcia Lorca… Que faisais-tu parmi les pastèques ?
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Poème combinatoire, en péniche, avec marionnettes géantes
J’ai été publié en très grand (13 mètres) par la compagnie les Grandes Personnes (http://www.lesgrandespersonnes.org), pour le festival de l’Oh.
Une énigme à l’entrée de l’été
Devinez qui il est : créé avant le déluge, c’est un être puissant, sans chair ni os, sans veine ni sang, sans tête ni pieds. Il n’est ni plus jeune ni plus vieux qu’au premier jour et il est aussi large que la face du pays. Sa naissance n’a pas eu lieu et personne ne l’a vu. Il est muet pourtant sa voix est rauque. Il est violent. Son vaste étendard est déployé sur le monde entier. Il est à la fois bon et mauvais, ailleurs et ici, il sème la discorde et ne s’en va que s’il le veut.
Adapté du Livre de Taliesin, manuscrit gallois du XIIIe siècle
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« The revolution will not be televised » de Gill Scott Heron.
LA REVOLUTION NE SERA PAS TELEVISEE
Tu ne pourras pas rester chez toi.
Tu ne pourras pas brancher, allumer et t’esquiver.
Tu ne pourras ni te défoncer à la poudre,
Ni aller prendre une bière pendant la pub,
Parce que la révolution ne sera pas télévisée.
La révolution ne sera pas télévisée.
La révolution ne sera pas sponsorisée par Xerox
Ne passera pas en quatre parties sans coupure publicitaire.
La révolution ne montrera pas d’images de Nixon sonnant la charge suivi par
John Mitchell, le général Abrams et le vice président Agnew
mangeant une panse de porc farcie confisquée dans un sanctuaire de Harlem
La révolution ne sera pas télévisée.
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« America », d’Alan Ginsberg
Il s’agit d’un poème que j’admire parce qu’il est drôle, parce que sa forme est ouverte et ne s’adonne à aucune circularité musicale de rime ou de sonorité, parce que c’est un poème qui marche et qui danse, toujours avançant, riant et mordant. Il y a sur un site anglo-saxon un très bel enregistrement où Ginsberg le récite et où le public rit beaucoup. (www.poetryarchive.org)
AMÉRIQUE
Amérique, je t’ai tout donné et maintenant je ne suis plus rien.
Amérique, deux dollars et vingt-sept cents, le 17 janvier 1956.
Je ne supporte plus mes pensées.
Amérique, quand mettrons-nous fin à la guerre humaine ?
Ta bombe atomique, tu peux te la mettre dans le cul,
Je ne me sens pas bien, laisse-moi.
J’écrirai mon poème quand je serai dans l’état d’esprit qui convient.
Amérique, quand deviendras-tu angélique ?
Quand te mettras-tu à nu ?
Quand regarderas-tu ta mort en face ?
Quant te montreras-tu à la hauteur de ton million de trotskystes ?
Amérique, pourquoi tes bibliothèques sont-elles pleines de larmes ?
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Un caprice du Sieur de Saint-Amant pour fêter le printemps
LE MAUVAIS LOGEMENT
Gisté dans un chien de grabat,
Sur un infame lit de plume,
Entre deux draps ceins d’apostume,
Où la vermine me combat :
Je passe les plus terribles heures
Qui dans les mortelles demeures
Puissent affliger les esprits ;
Et la nuit si longue m’y semble,
Que je croy qu’elle ait entrepris
D’en joindre une douzaine ensemble.
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