Inverse de celle qui, dans le conte du vieil Ovide, sauva Daphné

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Inverse de celle qui, dans le conte du vieil Ovide, sauva Daphné de l’étreinte d’un dieu lubrique, cette métamorphose-ci fut suggérée à un arbre par Merlin l’enchanteur :
— Si tu veux, tes ramilles deviendront doigts ; ta rude écorce, peau douce et vivante ; ton fût, buste ; tes branches, bras et jambes ; ton faîte, tête chevelue ; le lierre et la mousse qui t’enveloppent, vêture. Tu te transformeras en homme mobile et nomade… La sève deviendra sang et coulera plus vite en toi. Le bruissement de tes feuillages se fera parole d’homme.
— Et mes racines ? demanda l’arbre.
— Ah non, pas de racines, tu erreras à la surface de la terre.
— Alors tant pis, je ne peux pas sacrifier mes racines, répondit l’arbre.
Et il demeura arbre, planté sur sa colline, sous les cieux changeants du monde.

Photographie de Pierre-Alain Touge

Ygdrasil règne sur avril

Chêne de Saint-Germain-de-la-Coudre, photographie de P.-A. Touge

Colosse altier auprès duquel les autres représentants du peuple des arbres paraissent des enfants accourus sous son ombrage, sa majesté occupe noblement l’espace, déployant en éventail ses ramures géantes.

La perfection même du tracé rappelle les formes beaucoup plus réduites (les formules disait Francis Ponge) des madrépores, des coraux, ou d’une algue vernie et séchée qu’enfant on a vu sur la cheminée de sa grand-mère.

Est-ce un mathématicien divin qui a rêvé l’arborescence modèle, fractale peut-être, le subdivisant à toutes les échelles, du tronc aux ramilles, des maîtresses branches au plus fin rameau ou juste le bel équilibre de la nature et du hasard ?

Assurément, il fait partie des piliers qui soutiennent la voûte céleste, comme le fameux Ygdrasil.

Mort d’un titan en janvier

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Rugosité, textures, tourments et cicatrices, voilà un arbre qui ne respire pas la sérénité. Son torse démesuré, ses bras noueux et pesants sont ceux des esclaves inachevés qu’a sculptés Michel-Ange pour le tombeau d’un pape.
Est-ce un Atlas porteur de la terre et du ciel ? En tout cas, Il est tendu par une fureur immobile de titan enchaîné, un élan fixe qui prend feu en flammes et tourbillons lignés, d’une « beauté convulsive » et « explosante fixe » aurait dit André Breton.
Tout le mystère de la densité et de la matière s’offre là. Chêne s’il en est, triomphant malgré tout, mort debout, encore puissamment planté, il lève des bras féroces.
Il tombera d’un seul bloc, face contre terre, longtemps après la disparition de ceux qui l’ont patiemment ébranché. Et, il sera beau et étonnant, encore, même une fois couché, tout un monde pour le peuple de champignons, d’insectes, d’animalcules qu’il hébergera.
(photographie de P.-A. Touge)

Le danseur de novembre

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Farouche, il se hausse, d’un bond se relance, grimpe et zigzague vers davantage de lumière, fourche et s’ébouriffe, comme une foudre végétale montée lentement à l’assaut du ciel.
Sur son écorce une blessure trace comme un œil unique, la marque de quelle branche absente, la cicatrice de quel combat ?
(photographie de P.-A. Touge)

La complainte de l’arbre

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Est-ce que réellement j’habite le même pays que vous ? J’ai peine à croire que nos racines s’ancrent dans le même sol, que nos branches poussent dans le même air. Nous ne sommes pas faits du même bois. Je m’agite, je m’indigne, je bouillonne devant des spectacles qui vous indiffèrent. Je songe me déterrer, à m’exiler loin de vous.

Photographie de P.-A.Touge