Si j’étais poète

Lisant Levez-vous du tombeau
de Jean-Pierre Siméon
la nécessité d’un débat
d’un parlement
d’une parlure
s’imposerait à moi
si j’étais poète

Si j’étais poète, donc
je commencerais par
descendre de l’escabeau
ou du piédestal
pour parler à niveau
juste une voix dans la foule
et tant pis si l’on ne m’entend pas
Il n’est plus temps
à parler de haut

J’aurais l’habitude d’ailleurs
d’habiter à peine plus qu’un silence
frêle expression d’un monde fragile
menacé de diverses destructions Continuer la lecture de « Si j’étais poète »

Face au texte : Le mot écran

Souvent, je cherche mes mots ou plus exactement j’essaie de retrouver un mot dont la précision, l’élégance, la saveur me hantent. Le souvenir est très net, mais le mot qui me vient n’est pas celui-là, mais un autre, approximatif, plus banal.
Pis encore, il m’empêche de retrouver celui que je cherchais : il fait écran. Ce mot écran reste là, cachant l’autre dans son ombre.
Je lutte, j’engage diverses stratégies pour retrouver mon mot, dictionnaires, lexiques, divagations calculées.
Quelquefois la conclusion s’impose : le mot que je cherchais n’existe pas. Ne reste que l’ombre qui le masquait.
D’autres fois, derrière le mot écran, je ne trouve qu’un pâle reflet du mot désiré, tout à fait dépourvu de magie.
Faut-il envisager un néologisme ? Tout démolir et réécrire pour abolir sa nécessité ?
Plus rarement enfin, on le déniche derrière l’écran, en sa splendeur native d’oiseau de paradis, de vieil ami, d’amour d’enfance ou de trésor de pirate.

Face au texte : Sculpter la prose

À Christophe Evette

Pourquoi est-ce que
je m’obstine
à comparer l’écriture
et la sculpture ?

Jeune, j’ai perdu du temps
à explorer  l’analogie
entre la poésie et l’orfèvrerie
mais il faut chercher plus loin
Le texte manque-t-il de relief ?
Je pense trop vite
pour bien penser

J’ai même écrit une fable :
Mousseron possédait une technique
d’écriture bien à lui
D’abord, il écrivait un roman
d’une taille épouvantable
à donner des sueurs froides aux éditeurs
puis, petit à petit
phrase à phrase
mot à mot
le réduisait.
Il biffait, il effaçait
des paragraphes
Des chapitres entiers disparaissaient
Arrivait le moment où
il ne restait plus qu’une phrase
Quel suspens dans cette phrase !
Quel merveilleux concentré de sens !
Puis il ne restait plus qu’un mot
Comme il faisait jouer toutes ses facettes !
Enfin, il égorgeait le dernier mot
d’une plume qui ne tremblait pas
le chant du cygne

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Et j’ai vu la poésie en rêve :

Dans un cadre rectangulaire presque entièrement vide, qui ressemblait à quelque chose de moins clos et de plus vivant qu’un rectangle, peut-être un cartouche comme dans les inscriptions sacrées de l’Égypte antique, dont la bordure était d’une couleur entre le brun et l’orange, un aphorisme d’une ou deux phrases se déployait autour d’un signe, en formant un angle sans violence, ainsi qu’une composition typographique constructiviste, par exemple, une mise en page d’El Lissitsky pour Maïakovski . 

Ce signe  que je ne parviens pas à décrire, pas plus que le cadre qui l’entourait, n’était pas sans ressemblance avec la monade hiéroglyphique de John Dee, l’arrobase ou l’espérluette, quelque symbole, idéogramme ou lettre inconnue, suscitant l’idée de lien, ou peut-être de repli ou de boucle, ou alors d’un ancrage, puisque, et c’est là l’essentiel après ce long préambule, ces phrases entrevues établissaient des fondations fermes et irréfutables pour la poésie.

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Golem de lettres

Je voulais écrire qu’un roman est un golem de lettres.
On ajoute un mot sur le front et, une fois le titre inscrit, le texte s’anime d’une vie propre et ne nous obéit plus.
Comme la confection du golem, l’écriture tient du modelage, elle travaille l’épaisseur de la langue, sculpte la phrase, modèle le récit, laisse de la matière sur les doigts, tandis qu’ils y laissent parfois leur empreinte.
Pétrir le relief paradoxal du texte, par pression, par incision, par suppression, impression me paraît être une clé du secret.
Mais aussitôt d’autres figures s’invitent dans ma réflexion naissante, la prolongent, la déforment, l’étirent, la fragilisent.
Que je le veuille ou non, voici le baron Frankenstein de Mary Shelley, peut-être héritier de la légende du golem. Victor rêve et fabrique une créature aussi parfaite que possible, mais quand elle s’anime, c’est une horreur incomplète qu’il faudra poursuivre jusqu’aux solitudes glacées du pôle et annihiler.
Et encore Pygmalion de Paphos, dans Ovide, amoureux de sa statue, comme un écrivain qui ne peut se séparer du texte en cours, qui ne peut l’achever, car cela signifierait mettre un terme au face à face, à l’idylle.
Et cette réflexion qui aurait pu être clairement architecturée se gonfle d’excroissances disgracieuses, d’assemblages approximatifs, avant de s’échapper, monstrueuse caricature du désir de beauté qui l’a fait naître.

Face au texte : le poids du lecteur invisible


Un lecteur m’a avoué que comme certains de ses collègues, il s’accrochait aux phrases du texte, qu’il y plantait les dents pour le dévorer, qu’il le compulsait en détail, je m’étonne moins que le texte ait parfois du mal à décoller, alourdi qu’il est par tous ces lecteurs clandestins qui s’y cramponnent.

Désormais, je secoue vigoureusement mes textes pour en décrocher les lecteurs invisibles qui l’alourdiraient.
Quoi, vous êtes encore là ? Je secoue plus fort.

Doutes sur le verbe « narrer »

La grammaire ne le signale pas comme un verbe défectif ou défectueux, mais
est-ce qu’on écrit, autobiographiquement, je me narre ? Il se narre ?
est-ce qu’on demande réellement : Qui a narré ?
est-ce que j’ai déjà lu : Il narra et renarra toute l’histoire d’une voix nasillarde ?
j’ai l’impression que ce verbe étrange se conjugue rarement
pourtant, remarque Littré, dans Les Provinciales de Pascal, ou plutôt de Louis de Montalte
« Je vous suis plus obligé que vous ne pouvez vous l’imaginer de la lettre que vous m’avez envoyée ; elle est tout à fait ingénieuse et tout à fait bien écrite. Elle narre sans narrer ; elle éclaircit les affaires du monde les plus embrouillées. »
Inénarrable, soit, mais narrable ? À part Paul Valéry, révérence.
Narrateur, évidemment, comme interrogateur, calomniateur, mais aussi acteur ou danseur.
Comme certains êtres, un mot peut provoquer un léger malaise.
Qu’est-ce que vous me narrez là ?

Corridor

Source : Hoogstraten, 1662, Wikipedia

Chut, on entre dans un
corridor obscur
et silencieux
quand, où ?
est-ce un moment ou un lieu ?

une fois la lampe éteinte
ça commence
il se déploie
le corridor occulte
et passionnant
qui mène du jour à la nuit
de la veille au sommeil
corridor, personne n’y court
on avance pas à pas, entre les fantômes
plutôt l’intelligence jette parfois
un curieux éclat
comme la flamme
d’un feu qui s’éteint
entre rêve et réalité
un corridor ou un carrefour
qui ouvre sur quelles portes ?
quand, où ? Continuer la lecture de « Corridor »