Escarbilles, haleine brûlante
Flammes montent
Feuilles flétrissent
Rameaux flambent
Sève bout
siffle, crépite
Bois se fend
Écorce éclate
Au bûcher de l’incendie de forêt
nulle part où courir
Les arbres
assistent sans pouvoir bouger
à l’embrasement
au martyr des leurs
qui ardent
frémissent d’angoisse
assourdis par les
cris d’agonie muets
Pourquoi est-ce que
je m’obstine
à comparer l’écriture
et la sculpture ?
Jeune, j’ai perdu du temps
à explorer l’analogie
entre la poésie et l’orfèvrerie
mais il faut chercher plus loin
Le texte manque-t-il de relief ?
Je pense trop vite
pour bien penser
J’ai même écrit une fable :
Mousseron possédait une technique
d’écriture bien à lui
D’abord, il écrivait un roman
d’une taille épouvantable
à donner des sueurs froides aux éditeurs
puis, petit à petit
phrase à phrase
mot à mot
le réduisait.
Il biffait, il effaçait
des paragraphes
Des chapitres entiers disparaissaient
Arrivait le moment où
il ne restait plus qu’une phrase
Quel suspens dans cette phrase !
Quel merveilleux concentré de sens !
Puis il ne restait plus qu’un mot
Comme il faisait jouer toutes ses facettes !
Enfin, il égorgeait le dernier mot
d’une plume qui ne tremblait pas
le chant du cygne
Joy Harjo est née en 1951. Poétesse creek ou muskogee, elle a été élue poete laureate des États-Unis en 2019. En photo, un des arbres coudés qui, en Amérique du Nord, signalaient les chemins amérindiens.
J’ai fait un beau rêve où je dansais avec un arbre —Sandra Cisneros
Sur cette terre certaines choses sont indicibles La généalogie des cassures Un vent timide qui soulève les feuilles après un massacre Ou le parfum du café alors qu’il n’y a personne en vue Certains humains disent que les arbres ne sont pas des êtres sensibles Mais ils ne comprennent pas la poésie Ils n’entendent pas davantage la chanson des arbres quand ils sont nourris par La musique du vent ou de l’eau Pas plus que leurs cris d’angoisse quand ils sont cassés ou dépossédés Aujourd’hui, je suis une femme qui aspire à être un arbre, planté dans une terre humide et sombre Continuer la lecture de « L’arbre qui parle, traduction d’un poème de Joy Harjo »
Géant échevelé surgi au détour d’un chemin dans un vallon drômois ou nain noueux et écailleux dans mon jardin de Normandie
L’un Pyrus pyraster, sauvage et épineux aigrin ou pérussier aux fruits petits et âcres ? arbre maudit selon les traités étrusques L’autre Pyrus communis, domestique arbre porte-chance des anciens qui offre à l’automne un dessert suave cuisse-madame ou bon-chrétien ?
Pourquoi ai-je dépassé si souvent
le troène aux belles feuilles
opposées, lancéolées, luisantes
sans le voir
lui, ni ses fruits noirs et toxiques
ni ses corolles virginales
Certes, sa hauteur ne dépasse guère
six ou huit pieds
on le rabat souvent
pour en faire des haies
mais c’est surtout
parce que j’ignorais son nom
que je ne le distinguais pas
Troène, nom germain
C’était ligustrum en latin
de ligus, « lien » ?
parce que la souplesse
de ses branches sombres
permettait de les tresser
Ou de Ligurie, obscurément
géographique ?
Platane de l’Aigle, photo Office du tourisme de l’Aigle, Emmanuel Boitier
Quoique Francis Ponge
et Paul Valéry lui
aient consacré
chacun un poème
devant le platane commun
j’ai hésité
tant il me paraissait banal
arbre d’alignement en somme
poussiéreux et sec
Écorce mouchetée
renouvelée par écailles
feuille coriace dessinée
comme celle de l’érable
hauteur majestueuse
Résistant à la mutilation
il survit même en moignon
et défie les polluants
Pour sortir des nuées où l’on rêve les livres plutôt qu’on les écrit, j’ai copié dans mon carnet trois définitions.
« Réunion de plusieurs cahiers de pages manuscrites ou imprimées » écrit simplement Littré, rappelant que certains sont manuscrits, une histoire du théâtre par exemple, et qu’il s’agit toujours de combiner ou de coudre.
Mais c’est un peu carré et sommaire et j’aurais souhaité quelque chose de plus libre, de plus ivre.
Où est le portulan, le journal de bord et naufrage, l’herbier exotique, la recension d’animaux fabuleux ou disparus ?
Paroles fantômes d’hommes plus souvent que de femmes, sagesses fortes et vieilles comme des alcools, mythes effrayants, sacrifices sanglants, voix dont les voyelles mêmes se sont évaporées.
Parfois, il faut que je traduise un poème, celui-ci est d’une poétesse navajo vivant actuellement au Nouveau Mexique, Paige Buffington. Pour lire l’original en anglais, c’est ici :
Route n° 11
Les collines montent et ondulent, cuivrées et solitaires comme la selle laissée par l’aîné des oncles de la famille. Nous approchons des panneaux routiers troués par des balles, des murs couverts de citations bibliques du vieux magasin où le nomade et le désespéré dansaient, plantant leur paume dans la poitrine de ceux qu’ils aimaient ou qu’ils affrontaient.
Voici le vallon où les parents ont porté le matelas du mort ou du mourant pour le brûler — où les cousins se sont rassemblés pour tirer sur des bouteilles, de la vieille vaisselle, le chien qui avait tué quatre moutons.
Voici aussi le terrain où la sœur a sa demeure.
Voici l’endroit où les filles ont arrêté leur vélo pour écouter les détonations, voir les lapins s’éparpiller, où elles ont poussé du pied les cartouches vides, où elles ont regardé la fumée et la poussière monter jusqu’à cacher les corbeaux, couvrir le lever de lune —
Au delà de ce point
un titre de transport est exigé
Tu penses
à ceux qui ne partent pas
Ni billets ni tickets
Visages inquiets de ceux qui restent en gare
naufragés
sans jamais monter dans un
Paris Marseille Menton
ou mieux encore Paris-Rome
avec le soleil qui se lève sur Gênes et la mer
Parcourant la forêt des mots comme un coureur des bois solitaire, descendant au fil de l’écriture, dévalant la page comme dans un léger canoë d’écorce de bouleau, silencieux, marquant à peine la surface, je me souviens du Dernier des Mohicans, publié aux États-Unis en 1826. La mélancolie qui en émane tient pour partie à l’atmosphère crépusculaire d’une terre d’ethnocide, voir de génocide que le reste du XIXe siècle confirmerait. Les 38 Dakotas racontés par Layli Long Soldier, Wounded Knee, etc.
D’ailleurs, ce canot ne m’appartient pas, je l’ai emprunté sans me gêner, peut-être pas à un Mohican, mais au moins à un Chippewa ou Ojibwe.
Tandis que je suis emporté par ce sombre courant de pensée, arrivent les massacres commis par la colonisation française en Algérie, par exemple les enfumades de tribus entières réfugiées dans des grottes, en 1844 et en 1845. Les soldats y allumaient un brasier de bois vert, asphyxiant femmes, enfants et hommes. Existe-il une parenté entre le crime américain et le crime français ? Les uns payaient pour les scalps des rebelles, les autres pour les oreilles coupées. Y avait-il de part et d’autre un désir d’anéantir ces peuples si puissamment ancrés dans les terres convoitées ? Continuer la lecture de « Le canot d’écorce de bouleau »