Printemps de l’aubépine

Au printemps
en même temps
que les ombelles plus discrètes du sureau
aubépine jette sa robe de mariée
ses voiles neigeux, mousseux
immaculés et somptueux
en travers de la haie,
la déborde et l’enjambe

Sa beauté semble jaillie
d’un autre temps
d’un autre espace
d’une flore imaginaire
aubépine, roncenuit,
créprunellule
et l’on veut bien croire
qu’elle est enracinée
dans le pays des fées
que son terreau est le mois de mai
dédié à la vierge Marie
constellation de fleurs à cinq pétales
touchées de rose Continuer la lecture de « Printemps de l’aubépine »

Le chêne de l’énigme

Alors que non loin de la Rouvre
les chênes fleurissent
sans grand tintamarre
je rêve à une énigme
que je ne résoudrai pas

Le secret du chêne rencontre celui des Celtes
dont la religion est surtout connue
par ceux qui les ont colonisés

Maxime de Tyr, Grec du deuxième siècle
sur qui l’on ne sait presque rien
écrit dans sa huitième dissertation
Faut-il représenter les Dieux sous des emblèmes sensibles ?
Κελτοὶ σέβουσιν μὲν Δία,
ἄγαλμα δὲ Διὸς Κελτικὸν ὑψηλὴ δρῦς
que l’on a traduit par
« Les Celtes adorent Jupiter,
et le Jupiter des Celtes est un grand chêne »

Mais Maxime écrit plus précisément
« L’agalma de Zeus est un grand chêne »
Faut-il comprendre « statue  », « offrande »
« emblème » ou « image » ? Continuer la lecture de « Le chêne de l’énigme »

Un jouvenceau nommé Lierre

Lierre était un jouvenceau auparavant, & danseur de Bacchus : un jour qu’il dansait devant ce dieu, il chut par terre, dont il mourut. Et la terre, à l’honneur de Bacchus, produisit une fleur qui porte le nom du jouvenceau & fit que les germes du jouvenceau soient gardés au germe de la plante. Lequel germe aussitôt qu’il est sorti de terre, il vient à embrasser la vigne, en la manière que le jouvenceau embrassait Bacchus quand il était au bal.

Cassianus Bassus, Les XX Livres de Constantin Cesar, ausquelz sont traictez les bons enseignemens d’Agriculture : traduictz en Francoys par M. Anthoine Pierre, licentié en droict, chez Jehan et Enguilbert de Marnef, 1543.

Floraison de février

Quelle fée accroche en plein février
des lampions minuscules
de toutes petites lanternes japonaises
aux branches des noisetiers ?

Qui fait pleuvoir une averse de breloques, pendentifs
sur les arbres encore nus ?
Mystère des chatons vert tendre, puis jaunes, puis dorés !
Bref quelle idée de fleurir en hiver ?

Certains les mangent
ai-je lu, un peu incrédule
trempé dans du chocolat
ou grillé à la poêle

Pollen invisible vole dans la bise
pour une secrète cérémonie
d’anémogamie
et féconde des fleurs femelles
violettes
à peine visibles au bout des bourgeons
La genèse des noisettes est tout un poème

Pourquoi suis-je ému à ce point
par la floraison de février ?

Peut-être parce qu’elles murmurent
une vie neuve reviendra quelque jour
nous aurons peut-être encore un printemps

Derechef, feuilleton des bouleaux

Un : prolégomènes forestiers

Au bouleau de nouveau
il y a, je ne dirais plus
du pain sur la planche
(quoique Barthélémy l’Anglais
décrive des hommes sauvages
qui mangent du pain de bouleau
Liber de proprietatibus rerum)
mais tant à raconter
que je crains de perdre le lecteur
dans une forêt russe
une bibliothèque feuillue
plantée de colonnes pâles
comme des fantômes
mais signées de noir

Effeuillons donc un feuilleton
même si, de vrai
je ne sais pas bien
dans quelle taïga nous allons

Deux : préambule couché

En montagne
ou très au nord
au ras du sol
pays des neiges
et nuits sans fin
rampe le bouleau nain
betula nana
près du lichen
écume des rêves
pâture des rennes
guère plus qu’une broussaille
aux feuilles rondes et dentelées

Celui-là n’est pas le bois dont
les Samis font
des tambours prophétiques Continuer la lecture de « Derechef, feuilleton des bouleaux »

« Aller simple », un poème de Langston Hughes

J’ai osé une traduction de ce poème célèbre publié en 1949, parce que celle que l’on trouve le plus couramment sur Internet ne me satisfait pas avec ses « règlements pour Jim Crow » ou ses marques d’oralité, absentes me semble-t-il de l’original américain. Pour le lire en anglais, c’est ici ; pour l’écouter, dit par Langston Hughes, avec une variante, c’est .

Je reprends ma vie en main
Et l’emporte avec moi
Et la pose à
Chicago, Detroit,
Buffalo, Scranton,
Au Nord et à l’Est, n’importe où
— plutôt qu’au Dixieland.

Je reprends ma vie en main
Et l’emporte par le train
à Los Angeles, Bakersfield
Seattle, Oakland, Salt Lake,
Au Nord et à l’Ouest, n’importe où
— plutôt qu’au sud.

Je ne supporte plus
Les lois « Jim Crow »
Les gens cruels
Et peureux
Qui lynchent et s’enfuient
Qui ont peur de moi
Comme moi d’eux.

Je reprends ma vie en main
Et l’emporte au loin
Avec un aller simple
— Monté vers le Nord,
Filé à l’Ouest,
Parti !

Langston Hughes, « One-Way Ticket », 1949

Érable à feuilles d’obier

Saisi d’une mélancolie
bien ordinaire à mon âge
compulsant l’encyclopédie
des feuilles d’automne
une à une, il faut bien le dire
j’ai été consolé
par l’érable à feuilles d’obier
dans un lambeau de prairie
désert et ensauvagé
sous la butte de l’Aigle

Il faut dire qu’en bas
on n’entend parler
que de guerre
alors autant monter
par le raidillon
entre les pins

Aussi rouge, cuivré et doré
que le sumac fustet
comme lui prenant l’automne
visiblement très au sérieux
le petit érable dansait seul
dans le vent d’avant
l’orage

Acer opalus
grandi à la va-comme
-je-te-pousse

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Le martin-pêcheur et le Saint-Esprit

De l’arbre on glisse facilement à l’oiseau, image ©BNF-Gallica

Sur l’eau vive
apparition ailée
de l’esprit, plus bariolé
et décoiffé
que la colombe
mais un baptême de beauté
certainement

L’anglais dit kingfisher
pour ainsi dire roi pêcheur
Sur la gauloise Coudre
la Même ou l’Erre
on dit martin-pêcheur
prénom de glèbe
et de berge rustique

On ne questionnera pas
sa royauté tant
il règne sur l’éclaboussure
de couleur soudaine
le plongeon éclatant
l’étincelle bleu électrique
et orange
plus rapide que le regard

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Comme un genévrier

Au théâtre de prairie sèche
pâturage abandonné
partout sur les pentes
du Château Vieux
dans les marnes d’Aurel, Drôme
dont j’ai la nostalgie
plusieurs mois par an

Genévrier commun
commun quoi ?
Léonard a peint au fond
du portrait de Ginevra de Benci
ses hélices anguleuses

Des hôtes m’ont appris
que sur les Causses
c’était l’arbre de Noël
puisque sempervirent

Ici, rareté au dos d’une haie
du Perche, près de l’Anglecherie
Peut-être les a-t-on arrachés
brûlés, juniperus communis
Ils étaient, m’a-t-on dit,
plus nombreux jadis

Comme les ajoncs
on oublie facilement
qu’on les a plantés
et cultivés en d’autres temps
Et pourtant

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Profondeur du nerprun

Je devrais plutôt tailler
des signes abstraits
dans un roc isolé

M’appelle pourtant
un nouvel éloge
nouvelle réclamation
nouvelle acclamation
nouvelle proclamation
d’un arbuste tenace
confus et épineux

Comme moi ?

Feuillage vert sombre
aux nervures convergentes
baies noires à la fin de l’été
toxiques et purgatives

Avec la bourdaine
et le cornouiller
on le confondrait
sans ses épines
Rhamnus catharticus

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