Lierre était un jouvenceau auparavant, & danseur de Bacchus : un jour qu’il dansait devant ce dieu, il chut par terre, dont il mourut. Et la terre, à l’honneur de Bacchus, produisit une fleur qui porte le nom du jouvenceau & fit que les germes du jouvenceau soient gardés au germe de la plante. Lequel germe aussitôt qu’il est sorti de terre, il vient à embrasser la vigne, en la manière que le jouvenceau embrassait Bacchus quand il était au bal.
Cassianus Bassus, Les XX Livres de Constantin Cesar, ausquelz sont traictez les bons enseignemens d’Agriculture : traduictz en Francoys par M. Anthoine Pierre, licentié en droict, chez Jehan et Enguilbert de Marnef, 1543.
Floraison de février
Quelle fée accroche en plein février
des lampions minuscules
de toutes petites lanternes japonaises
aux branches des noisetiers ?
Qui fait pleuvoir une averse de breloques, pendentifs
sur les arbres encore nus ?
Mystère des chatons vert tendre, puis jaunes, puis dorés !
Bref quelle idée de fleurir en hiver ?
Certains les mangent
ai-je lu, un peu incrédule
trempé dans du chocolat
ou grillé à la poêle
Pollen invisible vole dans la bise
pour une secrète cérémonie
d’anémogamie
et féconde des fleurs femelles
violettes
à peine visibles au bout des bourgeons
La genèse des noisettes est tout un poème
Pourquoi suis-je ému à ce point
par la floraison de février ?
Peut-être parce qu’elles murmurent
une vie neuve reviendra quelque jour
nous aurons peut-être encore un printemps
Derechef, feuilleton des bouleaux
Un : prolégomènes forestiers
Au bouleau de nouveau
il y a, je ne dirais plus
du pain sur la planche
(quoique Barthélémy l’Anglais
décrive des hommes sauvages
qui mangent du pain de bouleau
Liber de proprietatibus rerum)
mais tant à raconter
que je crains de perdre le lecteur
dans une forêt russe
une bibliothèque feuillue
plantée de colonnes pâles
comme des fantômes
mais signées de noir
Effeuillons donc un feuilleton
même si, de vrai
je ne sais pas bien
dans quelle taïga nous allons
Deux : préambule couché
En montagne
ou très au nord
au ras du sol
pays des neiges
et nuits sans fin
rampe le bouleau nain
betula nana
près du lichen
écume des rêves
pâture des rennes
guère plus qu’une broussaille
aux feuilles rondes et dentelées
Celui-là n’est pas le bois dont
les Samis font
des tambours prophétiques Continuer la lecture de « Derechef, feuilleton des bouleaux »
« Aller simple », un poème de Langston Hughes
J’ai osé une traduction de ce poème célèbre publié en 1949, parce que celle que l’on trouve le plus couramment sur Internet ne me satisfait pas avec ses « règlements pour Jim Crow » ou ses marques d’oralité, absentes me semble-t-il de l’original américain. Pour le lire en anglais, c’est ici ; pour l’écouter, dit par Langston Hughes, avec une variante, c’est là.
Je reprends ma vie en main
Et l’emporte avec moi
Et la pose à
Chicago, Detroit,
Buffalo, Scranton,
Au Nord et à l’Est, n’importe où
— plutôt qu’au Dixieland.
Je reprends ma vie en main
Et l’emporte par le train
à Los Angeles, Bakersfield
Seattle, Oakland, Salt Lake,
Au Nord et à l’Ouest, n’importe où
— plutôt qu’au sud.
Je ne supporte plus
Les lois « Jim Crow »
Les gens cruels
Et peureux
Qui lynchent et s’enfuient
Qui ont peur de moi
Comme moi d’eux.
Je reprends ma vie en main
Et l’emporte au loin
Avec un aller simple
— Monté vers le Nord,
Filé à l’Ouest,
Parti !
Langston Hughes, « One-Way Ticket », 1949
Érable à feuilles d’obier
Saisi d’une mélancolie
bien ordinaire à mon âge
compulsant l’encyclopédie
des feuilles d’automne
une à une, il faut bien le dire
j’ai été consolé
par l’érable à feuilles d’obier
dans un lambeau de prairie
désert et ensauvagé
sous la butte de l’Aigle
Il faut dire qu’en bas
on n’entend parler
que de guerre
alors autant monter
par le raidillon
entre les pins
Aussi rouge, cuivré et doré
que le sumac fustet
comme lui prenant l’automne
visiblement très au sérieux
le petit érable dansait seul
dans le vent d’avant
l’orage
Acer opalus
grandi à la va-comme
-je-te-pousse
Le martin-pêcheur et le Saint-Esprit
De l’arbre on glisse facilement à l’oiseau, image ©BNF-Gallica
Sur l’eau vive
apparition ailée
de l’esprit, plus bariolé
et décoiffé
que la colombe
mais un baptême de beauté
certainement
L’anglais dit kingfisher
pour ainsi dire roi pêcheur
Sur la gauloise Coudre
la Même ou l’Erre
on dit martin-pêcheur
prénom de glèbe
et de berge rustique
On ne questionnera pas
sa royauté tant
il règne sur l’éclaboussure
de couleur soudaine
le plongeon éclatant
l’étincelle bleu électrique
et orange
plus rapide que le regard
Continuer la lecture de « Le martin-pêcheur et le Saint-Esprit »
Comme un genévrier
Au théâtre de prairie sèche
pâturage abandonné
partout sur les pentes
du Château Vieux
dans les marnes d’Aurel, Drôme
dont j’ai la nostalgie
plusieurs mois par an
Genévrier commun
commun quoi ?
Léonard a peint au fond
du portrait de Ginevra de Benci
ses hélices anguleuses
Des hôtes m’ont appris
que sur les Causses
c’était l’arbre de Noël
puisque sempervirent
Ici, rareté au dos d’une haie
du Perche, près de l’Anglecherie
Peut-être les a-t-on arrachés
brûlés, juniperus communis
Ils étaient, m’a-t-on dit,
plus nombreux jadis
Comme les ajoncs
on oublie facilement
qu’on les a plantés
et cultivés en d’autres temps
Et pourtant
Profondeur du nerprun
Je devrais plutôt tailler
des signes abstraits
dans un roc isolé
M’appelle pourtant
un nouvel éloge
nouvelle réclamation
nouvelle acclamation
nouvelle proclamation
d’un arbuste tenace
confus et épineux
Comme moi ?
Feuillage vert sombre
aux nervures convergentes
baies noires à la fin de l’été
toxiques et purgatives
Avec la bourdaine
et le cornouiller
on le confondrait
sans ses épines
Rhamnus catharticus
Le rouge-gorge et le bédégar
Dans la forêt du sommeil
dans la forêt du langage
rêve des feuillages
Quelquefois, il s’égare, papillon
à la recherche de la fleur
sur laquelle se poser
le mot
Un des précieux lexiques
dont Gérard de Crémone
Italien installé à Tolède
accompagnait
ses traductions de l’arabe
cite le bédégar
au douzième siècle
Rose du vent
vent et rose
en arabe, en persan
bédégar ?
D’un air de brigand
des Mille et Une Nuits
bédégar a désigné
une rose, le chardon-Marie
l’églantier et puis enfin
cette effloraison
étrangement chevelue
qui l’embroussaille
Colchique au talus
Comme un crocus
mauve miraculé
qui paraîtrait brièvement
à la fin de l’été
pour lequel on fait
exception
Les colchiques sont
empoisonnées, soit
elles évoquent Médée
et les trésors maléfiques
de la Colchide antique
Dans la pharmacopée
elles soignent la goutte
Mais, colchique dans les prés
c’est la fin de l’été
répète la rengaine
écrite par deux scoutes
en mil neuf cent quarante-trois
sans doute