J’étais tout petit
et nos grands-parents
appelaient cupressus
les arbres de la haie
orthogonale
à la route côtière
vers Mesquer
Leur parfum était frais
leurs fruits ronds
durs et odorants
leur ombre profonde
leur hauteur impressionnante
La distinction apportée
par ce nom latin
me paraissait aller de soi
Elle marquait sans doute
qu’ils étaient
naïvement
un peu supérieur aux autres
comme notre famille
Après tout
nous allions à la messe
donnions à la quête
lisions des livres
regardions Apostrophes
à la télévision
et prenions des bains de mer
sans craindre
l’eau froide
Les cyprès étaient plantés
si près les uns des autres
qu’il était compliqué
d’y grimper
À moins d’attaquer
l’ascension par
une extrémité
et de ramper
sur la canopée
Indiens bien cachés !
Plus tard, l’allure
de ces géants
parfois courbés
par le vent
arqués en terre salée
m’a impressionné
La côte compte
nombre d’anciens
cupressus macrocarpa
échevelés
faisant barrière
contre les vents
sombres et tordus
enracinés entre roc
et sable
Instantanés d’une
lutte contre l’écume
et la tourmente
sculptés par le vent
titans enchaînés
à leur rocher
mutilés par des
municipalités
inquiètes
Comme le chêne vert
Il vient d’ailleurs
de plus loin encore
des brouillards salés
de la Californie
Cyprès de Lambert
ou de Monterey
il vit encore sauvage
dans la forêt Del Monte
ancien parc du palace
d’un baron du rail américain
digne de figurer dans
La Conspiration des milliardaires
de Gustave Lerouge
Ou encore
à Point Lobos
où il se souvient peut-être
des Indiens Olhones
installés là
pendant des millénaires
puis exterminés
Tout petit, moi
je ne connaissais
que les Sioux et les Apaches