Il arrive parfois que le lecteur le plus attentif, le plus habitué à l’exercice, quand il déchiffre une de ces phrases de belle ampleur qui déploient leurs périodes sur une douzaine voire une vingtaine de lignes, aussi correctes et équilibrées fussent-elles, fécondées par la fréquentation régulière d’un latin originel ou nourries du rythme classique d’une oraison funèbre de Bossuet par exemple, ou encore d’une palinodie du cardinal de Retz , quand bien même elles affichent en des carrefours stratégiques, ces bornes, ces pivots, ces panneaux indicateurs que sont les adverbes et le conjonctions logiques, et en particulier si elles manient le paradoxe, le renversement de perspective, détaillant des causalités ineffectives ou dénonçant des préjugés bien ancrés, il se produit parfois, disais-je, surtout lorsque leur auteur y a semé une poignée de mots rares et a renoncé à une répétition qui aurait pu clarifier son propos, de même qu’à toute anaphore puissante qui l’aurait fait avancer comme à coups de tambour ou de marteau, que, parvenu à son terme, à la dernière proposition subordonnée, notre lecteur ait oublié non seulement ce que la phrase disait, mais encore le cheminement qu’elle suivait, et qu’il soit obligé de la recommencer, de s’engager à nouveau dans son labyrinthe de mots, sans être le moins du monde assuré qu’au deuxième passage il la comprendrait mieux, pas plus qu’au troisième, sachant qu’il courrait en plus le risque d’y croiser l’ombre de son intelligence encore prise au piège d’une lecture antérieure, si bien qu’il éprouve peut-être un peu de regret, de nostalgie pour un propos plus concis, plus ramassé sur lui-même, plus galet que hallier, bien que ce dernier eût sans doute nécessité, lui aussi, plusieurs lectures, puisqu’il aurait concentré, resserré comme dans une graine, diverses nuances, changements d’orientation et contradictions, ce qui aurait pu le rendre sibyllin voir nettement hermétique, auquel cas il n’eût pas été assuré de ne pas y rester coincé dans une double négation.