— L’écrivain certains jours est cet enfant qui a démonté sa montre et reste perplexe devant le nombre de rouages, de pignons, de ressorts, de cliquets et d’arbres qu’il en a tiré, et se révèle finalement incapable de la remonter et de relancer son fonctionnement.
— Je dirais plutôt que l’écrivain ce jour-là est semblable à cet enfant qui, ayant admiré l’agilité, la rapidité et les coloris d’un lézard l’a capturé et l’a tué, plutôt par accident que par méchanceté. Bientôt, il ne reste plus qu’un petit cadavre inerte et sans couleurs, que l’enfant honteux ne parviendra pas à ressusciter.
— Quant à moi je préfèrerais dire que l’écrivain certains jours, est cet homme qui a mangé un rouget. De la somptueuse robe d’écailles, il ne subsiste qu’un tas informe et décoloré dans un coin de l’assiette ; de la chair fine et savoureuse, qu’une arête, qu’il manipule, songeur, du bout de la fourchette. L’arête ressemble à l’ossature d’un mot, à l’articulation d’une phrase, mais définitivement asséchées et décolorées.
— Pour vous mettre d’accord, je poserais que l’écrivain certains jours est une sorte de baron Victor Frankenstein dont les expériences de réanimation auraient échoué l’une après l’autre. Malgré son érudition, d’ailleurs inadaptée et anachronique, malgré l’extrême soin avec lesquelles il a choisi dans le cimetière des mots et des pages, les membres, le tronc et la tête, la créature reste inerte. Aucune intensité électrique, aucun foudroiement ne réussit à lui communiquer la vie, et l’assemblage cousu avec soin reste un puzzle de fragments de cadavres.