Nous souffrons de la persistence d’images et de faits
je ne saurais dire s’il s’agit de leur éternel retour
ou d’un temps qui ne s’écoule pas
collé à nous, dans lequel nous sommes englués
mouches sur un tortillon empoisonné
Nous souffrons du perpétuel recommencement
de drames antiques, comme si rien n’avait changé
comme s’ils étaient cloués dans notre chair
quoique nous nous démenions pour leur échapper
C’est le versant noir du mythe
un piège qui a refermé
ses dents sur nous
Une obscure obsession, une noire histoire d’intérêt
recommence sans cesse la guerre de Troie
la destruction de ses temples
le massacre de ses enfants et de ses femmes
Ô Polyxène, Cassandre, Astyanax
Andromaque, esclave dans la maison
de l’assassin des siens
Les armées d’Occident depuis des siècles
incendient les villes d’Orient
sans le vouloir, dirait-on, par accident
pour des raisons qui ont toutes les apparences
de la justice sans en avoir la réalité
Sans cesse, Énée quitte en courant sa ville ensanglantée
portant son vieux père Anchise, tirant son fils Ascagne
perdant en chemin son épouse Créuse
et s’embarque pour une destination incertaine
sur un esquif trop frêle
Toujours, comme dans l’Évangile de Matthieu
fuient une mère, son bébé, et un vieux charpentier
qui n’est même pas le père de l’enfant
avec leur maigre bagage sur un âne
pour échapper au massacre qui menace les petits
Qui leur refusera asile ou refuge ?