Ensorcelé, charmé de neuf
faut que je rechante
les vertus du charme
Carpinus betulus
Suis-je, alors
chanteur de charme ?
Trapu et coriace
ses branches se replient parfois
se soudent au tronc
cannelures volumineuses
racines saillantes
serpent gris surgi
du talus
Jeteur de sortilège, de maléfice
noueur d’aiguillettes ?
Au chemin creux
bourbier l’hiver
mais à l’été
envoûtement de lumière
et de verdure
Le charme opère
Enchantent d’abord
ses formes tourmentées
lorsqu’il a été travaillé en taillis
Ici, visage de bois de sorcière
grimace de satyre
là, main de géant enseveli
De tous les arbres qui m’entourent,
il sent le plus le conte de fées
évoque le mieux les légendes d’arbres
qui parlent ou se déplacent
S’il pourrit, il se nourrit
de sa propre sciure
Dans le roman de chevalerie
Érec et Énide
casse-croûte improvisé
sur l’herbe verte
à l’ombre d’un charme
dans la forêt
Et qui s’emparera du cheval
écu et lance de Gauvain
attachés à un charme
ne s’en tirera pas
avec honneur
Rameaux d’un cuir gris argent
plutôt doux sous la main
Vraiment, l’enfant qui ose y grimper,
y trouve un refuge magique
dont les mérites se célèbrent
en vers ou en incantations
Allons sous la charmille
cachés par le feuillage
dentelé, gaufré
Qu’importe la différence de saison
disait Madame de Warens
près de la maison des Charmettes
Car en automne
sèche et grisonne
mais tient et ne tombe pas
Il est « marcescent »
écrivent les livres
d’un verbe latin qui signifie « flétrir »
raffinement qui n’empêche pas
son bois d’être solide
de se porter comme un charme
Puisque sa croissance est lente
il offre une dureté d’enclume et de billot
qui rivalise avec celle du cormier ou du buis
qui concurrence celle du fer
dont les artisans ont su tirer parti
Leviers, rouages, moules de chaussure
véritables pieds de bois
Charmer un arbre
c’est le blesser volontairement
pour en amener
la chute ou la mort
C’est un délit
et le charme serait rompu
Quand même
il a des charmes secrets
chatons, samares
aux ailes trilobées
aux vents confiés
Il faut deux ans
dit-on
à sa graine pour germer
Et je reste sous le charme