Même si on a déployé
des trésors d’ingéniosité
pour les baptiser
merci Carl von Linné
les arbres n’ont pas de nom
un point c’est tout
ils vivent, ils verdoient
ils portent beau, ils portent haut
La preuve ?
quand on les appelle par leur nom
— Hé, cerisier !
ils ne se retournent pas
ne répondent pas
Parfois, on a l’impression
qu’ils parlent latin
mais non
O fage, Ô hêtre
ne suscite pas de réponse
même dans la langue des Bucoliques
Ont-ils un prénom alors ?
peut-être, si le prénom
est quelque chose d’antérieur au nom
de plus rustique
plus en amont que les racines
celtiques, grecques ou latines
car ils étaient là bien longtemps avant nous
Ou peut-être comme Tolkien l’imaginait,
des noms si longs et si étranges
dans leur propre idiome,
que nous sommes incapables de les mémoriser
qu’il faudrait des jours pour les prononcer
puisque les arbres ignorent nos urgences éphémères
Langage ?
quelle langue les arbres ?
quel alphabet les branches ?
On scrute les feuilles
elles portent la marque de la saison
mais pas d’inscription
un réseau
Sur l’écorce, peut-être
les runes d’un alphabet du noroît
dont les tracés se prolongent
toujours vers le haut
trop haut pour nous
même en étirant le cou
Langage ?
quelle langue les arbres ?
Comment s’appellent-ils en
langue de sève
langue de feuille
langue de racine
langue de bois
Si l’on ne dit pas langage
puisqu’ils n’ont pas de langue
faut-il dire
boisage
feuillage
racinage
bourgeonnement ?
Certes on entend le feuillage
quand il parle avec le vent
Le peuplier, le tremble le disent assez
mais quel message
portent les feuilles
qu’ils expédient à l’automne
Qu’est-ce qui est dicible, nommable
indicible ou innommable
ineffable
dans le dialecte des arbres ?
Quel registre tiennent
leurs cernes ?
Comment sonne une déclaration d’amour
d’arbre à arbre ?
Quel épithalame
quel mille-feuilles
quand on s’aime de loin, sans s’étreindre ?