Maintenant que nous entrons
dans les frimas
et qu’un vampire médiocre
m’a privé de l’odorat
est-ce le bon moment
pour parler du lilas ?
Voisin plutôt calme
vêtu d’un imper
vert sombre
on tend à ne remarquer
cet arbuste discret
qu’au printemps
quand il se pare de thyrses
embaumés et fleuris
« Ses belles et grandes fleurs
de couleur grix violent,
sentans bon,
parent longuement le jardin »
écrit l’ami Olivier de Serres
en son Théâtre d’agriculture
Et par « violent », il faut comprendre
non des coups qui meurtrissent
mais une couleur qui tend vers le violet
argot de teinturier
Quand fleurissent miraculeusement
les branches de l’année d’avant
personne ne résiste
à l’idée de les couper
et de les porter chez soi
pour s’approprier
leur parfum
Syringa vulgaris
commun sans doute
mais pas vulgaire
Car c’est Delphine Seyrig
toute vêtue de mauve
qui joue la fée des lilas
dans le Peau d’Âne
de Jacques Demy
miracle léger, poétique
et grave :
On n’épouse pas son papa
Si le lilas ne figure pas
dans le conte en vers de Perrault
il apparaît en majesté
dans la version en prose
parue chez Lamy
quai des Augustins
à Paris ; lis-la
La fée descend du plafond
dans un char tout fleuri
de lilas
Lilas
spontané en Europe orientale
Hongrie, Roumanie
Bulgarie, Serbie, Monténégro
mais adopté dans le monde entier
jusqu’à la porte des Lilas
depuis l’Empire de Soliman
le Magnifique
Sublime Porte !
Car à en croire le naturaliste
Pierre Belon au seizième siècle
dans ses voyages en « pays étranges »
ces redoutables seigneurs aimaient
par-dessus tout les « fleurettes »
et en glissaient dans leur turban
Il est bien attesté que c’est
Ogier Ghiselin de Busbecq
ambassadeur de l’empereur
auprès du Grand Turc
qui l’importa à Prague
puis à Vienne où son jardin
planté de lilas
suscita
l’admiration générale
Son nom viendrait de l’arabe
du turc ou du persan
en tout cas d’un raffinement
tout oriental
le parfum d’une couleur
Mais c’est à Venise en
mil cinq cent soixante-cinq
que Mattioli en publie pour
la première fois
le portrait
plein de délicats
entrelacs
dans un commentaire
de Dioscoride
Prosaïquement, il paraît
que sa floraison
Dans les jardins d’mon père
ou ailleurs
garantit qu’on peut planter
ses patates
sans craindre le gel
Tous les oiseaux du monde
Viennent y fair’ leurs nids
Mais quand la mort guette
quand l’angoisse domine
peut-on cueillir du réconfort
aspirer de la sérénité
dans le souvenir
du parfum d’un lilas d’antan ?
Auprès de ma blonde
Qu’il fait bon dormir !