Preuves véridiques que l’écrivain de fiction est un méchant diable
Par ici, entre ses lignes, ça sent le soufre. D’abord l’insensé parle tout seul, il soliloque sans même savoir s’il a un auditoire. C’est très suspect. Il vendrait probablement son âme pour un bon mot, pour un beau livre. Il passe son temps penché sur des grimoires étranges et trace des incantations.
Pire, par ici, entre ces lignes que vous lisez, quelqu’un joue à être un autre que lui-même, il ira jusqu’à travestir son sexe, son âge. Si un masque passe à sa portée, il le happe, il l’arbore. Il est carnaval à lui tout seul. Quelquefois, il est assassin, quelquefois victime. Comme le démon des Évangiles, si on lui demande « Quel est ton nom ? » Il risque de répondre, « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux. » Être possédé, se dédoubler, c’est son quotidien.
Pire encore, comme Le Diable amoureux de Jacques Cazotte, il soulève le toit des maisons pour montrer ce qui devrait naturellement rester caché. Si d’aventure il ouvre la porte derrière laquelle des amants s’ébattent, au lieu de la refermer précipitamment, comme toute personne bien élevée, il entre dans la chambre et s’installe dans le meilleur fauteuil.
Enfin, l’argument définitif. Avec le diable, il partage la volonté de séparer, il écarte le lecteur de sa famille, de toute la communauté des vivants, le retient au loin. Il manigance une séduction, du latin seductio, « action de prendre à part ».
S’il le pouvait il entraînerait son lecteur en plein désert où, comme on le sait, le vide tend à se peupler de tentations chimériques. Il souhaiterait peut-être même battre en brèche ses convictions, l’introduire aux biens qui viennent en dormant, le dégoûter de sa vie quotidienne et semer en lui de confuses et destructrices aspirations.