L’estran
comme une chambre à l’occident
dont on aurait perdu la clé
sous le ressac et le remous
régulièrement noyée
submergée sous un plafond de houle
où dort captive notre imagination
L’estran
chambre des vases, des sables, des rocs
où se recueillent les épaves
bizarrement oubliée des grands mythes
parfumée de puanteurs poétiques
où joue une musique de chambre mousseuse
de crépidules, littorines, balanes et buccins
Chambre d’un dormeur rouge
cuirassé et armé jusqu’au bout des pattes
parcourue de frissons argentés
d’allées-venues fugitives
La moitié du temps
dort dans des draps de varech
sachets encore humides,
lianes aquatiques, colliers végétaux
l’autre rêve dans les cris des oiseaux, dans l’écume
Ça inspire, ça expire
des alternances écrites dans les astres
L’estran déploie cycliquement
ses paysages miniatures
pour enfants déguenillés
lacs et montagnes réduits
et jonchées de coquilles
Fantômes, noyés
objets flottés
course biaisée du crabe
verre poli
par le lent travail
du grain de sable
secret moite
à l’ombre des rochers
À marée basse, l’imagination
émerge
reliquats, bois flottés
échouages
naufrages oubliés
des mortes eaux
alphabets éphémères
sur le sable mouillé
À marée haute
l’imagination se fait sous-marine
laminaire et liminaire
habite l’huître
et s’habille de byssus
et goémons
La grande amoureuse
nous méduse
L’océan couvre et recouvre
comme une chambre
de grand sommeil
Puis dévoile, et laisse
à l’éveil
måne providentielle
bernique dite aussi patelle
bigorneau, palourde
cailloux, bijoux
perle de goudron
L’estran
ça expire
ça inspire