Une fois ou cinquante fois, ici ou là, je suis allé dans une de ces librairies, parfois intimidé ou hésitant, comme à un premier rendez-vous, toujours un peu ému et souvent heureux comme un enfant le soir de Noël. Étaient-ce pour moi des temples dont les libraires auraient été les desservants ? J’ai erré dans la forêt des signes, fouillé, trouvé de véritables cartes au trésor, et régulièrement eu des vertiges en achetant des livres qui n’étaient pas du tout dans mes moyens. J’y ai dédicacé mes romans à des poignées de lecteurs qui étaient surtout des lectrices : « Vous savez, moi, les romans, c’est surtout ma femme qui… »
J’y ai quelquefois lutté contre une tristesse noire en achetant un livre, Le Mal des fantômes de Benjamin Fondane, par exemple. Je veux bien avaler toute la tristesse du monde tant qu’il y a la force de la beauté. Chez un bouquiniste des quais de Paris, j’ai trouvé précisément plusieurs volumes du livre que je cherchais ce jour-là, Vie des grands capitaines français et étrangers de Brantôme.
Étudiant à Paris, j’ai bien sûr passé du temps chez Joseph Gibert, boulevard Saint-Michel, surtout dans les rayons de littératures anglaise, latine ou grecque. L’occasion était mêlée au neuf, ce qui me convenait, mais l’accueil était plutôt rébarbatif. Il fallait montrer son sac en entrant et en sortant. Pourtant les jeunes libraires étaient parfois étonnamment érudits ou érudites.
Chez Temps futurs, rue Dante, avec mon frère Christophe, nous avons inventé pour un canular radiophonique éphémère un écrivain de science-fiction américain aussi méconnu qu’influent que nous avons baptisé John Silversmith.
Dans certaines, on ne comprenait pas bien mes questions ; dans d’autres on me trouvait un recueil de poèmes paru au Castor astral et prétendument épuisé. J’y ai beaucoup lu, poèmes, bandes dessinées, quelquefois fait des rencontres avec des écrivains vivants, comme Robert McLiam Wilson à Vincennes, ou morts, comme Robertson Davies ou Michel Houellebecq (précocement décédé après avoir écrit un livre sur Lovecraft et une plaquette d’alexandrins). J’ai aussi timidement discuté avec des lecteurs et des lectrices d’aujourd’hui, jeunes et moins jeunes.
Voici les librairies dont je me souviens, cette liste n’est pas un guide, et on ne s’y retrouvera pas forcément, d’ailleurs certaines ont disparu. Toutes m’ont laissé un souvenir inoubliable. Que leurs libraires en soient remerciés où qu’ils soient aujourd’hui.
Du côté de Bellême, boulevard Bansard-des-Bois, à… Bellême
Le Goût des Mots, place du Général-de-Gaulle, Mortagne-au-Perche
La librairie du Tiers-Monde, place Abdelkader, Alger
Les Traversées, rue Édouard-Quenu, Paris
Alimentation générale, Grande Rue, Saillans
Mosaïque, rue Camille-Buffardel, Die
Librairie de Paris, place Clichy, Paris
Les Cahiers de Colette, rue Rambuteau, Paris
Le Comptoir des mots, rue des Pyrénées, Paris
Fables bookshop, Africana & collectable rare books, Kowie Road, Bathurst
Delamain, rue Saint-Honoré, Paris
Millepages, rue de Fontenay, Vincennes
La Librairie du Perche, rue Villette-Gâté, Nogent-le-Rotrou
Les Livres en fête, rue Orthabadial, Figeac
Les Mots tordus, rue Borville-Dupuis, Evreux
Any Amount of Books, Charing Cross Road, Londres
Keats & Chapman, North Street, Belfast
La Gryffe, rue Sébastien-Gryphe, Lyon
La Plume noire, rue Diderot, Lyon
Joseph Gibert, boulevard Saint-Michel, Paris
Librairie des Presses universitaires de France, place de la Sorbonne, Paris
Temps futurs, rue Dante, Paris
Shakespeare and Co, rue de la Bûcherie, Paris
L’Île mystérieuse, librairie Jules Verne, rue Lagrange, Paris