Pourquoi la ronce ?
me demandera-t-on
Ce n’est pas la plus belle
des fleurs de mon jardin
Peut-être parce qu’elle est
mal aimable, rebelle
épineuse ?
Peut-être parce que les écorchures
causées par ses aiguillons
ont un air enfantin
d’école buissonnière
d’aventure
et de gourmandise
Partout en Europe
elle annonce
en saison
la présence de dons
gracieusement offerts
à qui veut les remarquer
à qui veut les cueillir
Pourtant, elle a mauvaise réputation
éclaireuse
de terrains vagues
de friches industrielles
Signe du pêché
fleurissant sur
la terre maudite par la faute d’Adam
mais « ronce » me paraît
une facilité de traduction
de l’hébreux dardar
pour épine ou chardon
En tout cas signe d’abandon
la Belle au bois dort oubliée
depuis longtemps
dans un palais
brodé de fronces
d’épines
Vigoureuse
elle projette
un bourgeon
qui s’enfonce en terre et devient
seconde racine
pour construire des arceaux
une cabane d’épines
ronceraie, roncier
où gîte plus que le lièvre
et une kyrielle de papillons
Bombyx, minime, nacré, hespérie
Mais la mûre
fruit gratuit, fruit de pouilleux
fruit délicieux
défendu d’épines
qui blessent surtout
quand on retire la main
ô la goutte de sang
La mûre
un des parfums les plus heureux
de mon enfance
après une longue promenade
automnale
le long des haies pour les cueillir
bouillonnant dans le chaudron de cuivre
qui ne servait qu’à ça
Parfumant la maison
gelée de mûre
ô consolation de la fin de l’été
Hélas le chemin des ronces
Est devenu une allée de thuyas
Le pré, un village pavillonnaire
Alors encore une ronce !
De la tombe de Tristan dit-on
qui poussa verte et feuillue
avec des fleurs odorantes
pour s’enfoncer dans la tombe d’Yseult
et qu’on voulut couper
mais qui repoussa
à chaque fois
Viens à moi
Mon amie
la ronce
et embrasse-moi
Ton vieux nom de lance
du latin rumex
évoque ce genre
de blessure ancienne
qui toujours se rouvre
et dont on ne veut pas guérir
car elle ressemble
selon les jours
à l’amour
ou à la nostalgie