Au sorbier des oiseaux

Ayant déjà inventé
nostalgie des neiges d’antan
pour un roman tumultueux et triste
une fille à soldats acide
surnommée Sorbe

il fallut pourtant rencontrer
l’arbre en été
près de la Ferté-Vidame
en lisière d’une forêt
malmenée par la sécheresse

pour me consacrer
à l’arbre sorcier
et célébrer ses noces
avec l’oiseau
Comment penser
l’un sans l’autre ?

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Clématite des haies

Malgré festons
et guirlandes
ou souvenirs de Tarzan
cette liane d’Occident
liorne, jorne
inquiète quelquefois

Comme ronces et orties
un serpent végétal
rampille, fausse vigne
envahit maison ruinée
sous-bois obscur
terrain abandonné

Signe de sauvagerie
sarmenteuse
barbe de chèvre
ses tiges ligneuses
tombent en tout sens

Son pétiole vrille
s’attache
tourne
volubilement

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Argile à silex

Ici le soc de la charrue
quand on laboure
la terre grasse
tinte souvent
sur une dure caillasse

J’habite un pays de silex et d’argile
On dit même d’argile à silex
La dialectique est naturelle

Incisif et concis, silex parle au poète
une langue tranchante

Substance amorphe et fuyante, argile
pose un autre défi

alourdit les souliers
les sabots quand on arpente
la terre mouillée, et ralentit
et tire vers le bas

Silex, frappé sur un roc ferreux
provoque une étincelle

Silex allume le coup de feu
d’une platine à miquelet

Mais argile a du talent
piège l’eau
apprend aux doigts
à modeler en
trois dimensions

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Nerval encore

La nécessité de revenir à Nerval naît d’un remords de n’en avoir pas assez dit, et sans doute d’un mouvement de reprise plutôt nervalien, lui qui réutilisa, découpa, colla, réécrivit plusieurs fois les mêmes textes au sein d’une œuvre pourtant variée et abondante. M’apprivoisa à son étrangeté de premier abord le fait d’y retrouver le goût de mon grand-père Georges pour les généalogies imaginaires et les contes invérifiables sur les origines lointaines des noms de famille.
Je me souviens très bien que c’était l’été où, alors que j’étais d’une famille de la petite fonction publique, je travaillai pour la première fois en usine, à Sainte-Mère-l’Église, et où je découvris la vie et la solidarité du monde ouvrier. Avec mon premier salaire, je partis en Grèce, visitai Delphes, « La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance ? »
Me pousse aussi vers Nerval mon goût du sommeil et des songes, de l’inspiration remontée de leurs profondeurs troubles, et une rébellion très profonde contre le monde tel qu’il est, tel qu’il va, tel qu’on nous le vend.
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L’aveu Nerval

On entretient parfois avec un texte une liaison secrète, on le retrouve avec délice le soir en se couchant ; si l’on est empêché de le fréquenter dans la journée, on y pense avec un sourire ; on n’en parle pas forcément aux autres. Le nom de son auteur peut être universellement célèbre, n’empêche, il s’agit d’une histoire profonde, souvent nocturne, discrète avec lui, avec son écriture, sans fanfare ni tambour.
 Malgré mes efforts, je ne parviens pas à me rappeler qui m’a introduit à Nerval, dont j’ai d’abord lu Les Filles du feu, c’est peut-être M. Jean-Paul Ballorain, dont je fus l’élève admiratif mais plutôt fuyant au lycée Henri IV de Paris. Il me fit en tout cas découvrir Baudelaire et Poe sous un jour nouveau et très vif.
« Sylvie, souvenirs du Valois » est comme l’essence des Filles du feu. En tout cas, « Sylvie » m’enchanta de sa féérie nostalgique et de sa délicate ironie, en plus de me faire découvrir que la région parisienne avait recélé jadis des espaces champêtres et paysans, que je n’aurais pas soupçonnés. En les recréant, Nerval leur invente une légende immortelle.
L’édition dans laquelle je l’ai lue n’était pas une édition scolaire. Une note médiocre et jalouse, en bas de page, signalait que Jenny Colon qui aurait inspiré telle ou telle figure de femme fictive était en réalité une actrice assez quelconque.
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Titre de propriété

Plus de questions que de réponses

Souvent
Ma maison, mon arbre
l’adjectif possessif
Ô ma femme, ma main
me laisse perplexe
et je soupçonne une erreur
ma nuit, ma colère
ou une hérésie habituelle
sur laquelle je ne parviens pas
à mettre le doigt
mon doigt ?

Où est l’acte notarié
qui m’en accorde propriété ?
Je crains de l’avoir égaré

Suis-je possédant ?
De quoi, nanti ?
Suis-je possédé ?

Ma mère
mère de frères et de sœurs
leur mère
range ses affaires

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L’arbre transparent II – Orme

Appliqué à voir ce qui n’est plus là

je sais enfin l’arbre fantôme
qui me hantait, c’est l’orme

« Sentez-vous son parfum spectral
frais le matin après une averse printanière ? »

Enfant, entre soixante-dix et quatre-vingt
je n’ai pas vu les grands ormes mourir

presque tous étouffés par la graphiose
épidémie revenue avec des bois américains

J’étais plus près de l’orme Saint-Gervais
l’arbre de justice, que de Saint-Fulgent-des-Ormes

Ici en Normandie, il était partout
et n’est plus nulle part, nul écho

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Prosopopée du vent dans les branches

Naturellement,
murmurent les arbres
d’un même souffle
nous avons davantage
d’affinités
avec le vent
même si parfois
la tempête nous moissonne
et nous couche
dans nos linceuls de verdure
quand nous soufflons nos pollens
avant l’apparition des feuilles
à perdre haleine
« anémogamie » écrit le botaniste
mariage aérien par les alizés
en grec anemos, en latin anima
souffle de l’âme
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Notre Amérique à nous

En quête d’une vie meilleure, nos arrière-grands-parents, Adélaïde et Victor ont émigré au Saskatchewan. Cet État canadien offrait des terres aux colons qui s’engageaient à les mettre en valeur. Les registres d’Ellis Island gardent la trace de leur arrivée à New York, en février 1898. Ils ont vécu au Saskatchewan, ont raconté les hivers rigoureux et enneigés, les rencontres avec les Indiens, et ces fragments transmis de génération en génération constituent notre ouesterne familial. S’il existe deux ou trois photos de leur voyage sur le paquebot la Bretagne, il n’y en plus de leur maison là-bas, mais celle-ci a survécu. Au deuxième plan, des Indiens dansent, je pense qu’il s’agit de Cris des Plaines, mais ce n’est qu’une supposition. Le gouvernement canadien avait écrasé quelques années plus tôt l’insurrection des Cris alliés aux Métis de Louis Riel.

Deux viornes des petites routes du Perche

Fleurs et feuilles printanières
dans la bibliothèque de la haie
offrent toujours même après des années
quelques surprises

Comme un florilège poétique
ignoré jusque-là
se révèle au long d’une route familière
arbrisseau ou arbuste, tressé aux autres
petites fleurs blanches
en corymbes circulaires
dont le parfum vaguement malodorant
attire sans doute d’autres que nous
feuilles d’une verdeur de menthe, veloutées
finement dentelées, bourgeons nus

On lui a attribué tellement de noms
que cela crée un flou
son histoire doit être longue
et riche en langues anciennes
rurales et païennes

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