Marle Bévis sait que le véritable génie impose un travail sur soi-même. Le récit autobiographique lui permettra de dénoncer l’abjection historique de son père, de glisser son nez dans les coucheries de sa sœur et de se plaindre de la froideur de sa mère. Il se souvient très bien qu’elle n’a jamais acheté le jouet en plastique qu’elle lui avait promis. C’est contre eux, c’est à contre sens que Marle Bévis est devenu l’écrivain que l’on connaît aujourd’hui, lui que sa famille abreuvait de fiel et de sarcasmes, car elle était aveugle à son génie précoce et à sa sensibilité à fleur de peau. C’est tout un résumé fort et âpre de l’humaine condition que dessine son nouveau livre, Après leur avoir arraché leurs haillons, je vomis sur leurs tombes.
Les cahiers de Marle Bévis : 2. Marle Bévis prend de l’altitude
Marle Bévis, après avoir dominé trop facilement le champ des sciences humaines, décide finalement d’être prince des poètes. Couronné de laurier, enveloppé nu dans un drap blanc, juché sur son escabeau, il nous prend de haut. Sans vergogne, Marle Bévis prophétise. Son poème épique baptise le midi « instant zénithal », la soupe « chaos primordial ». Sa plume travestit la pensée la plus ordinaire et la métamorphose en vers oraculaires, sibyllins et jaculatoires. Ses strophes convoquent la foudre, le crachat, la nudité. L’érotisme n’effraie pas Merle Bévis. Volontiers érigé et phallique, il appelle une fellation « un air de flûte épileptique ». Bref, il assoit son postérieur marmoréen sur la banalité de nos existences.
Les cahiers de Marle Bévis : 1. Développement personnel
Si Marle Bévis écrit, il ne compte pas perdre son temps avec les poètes désargentés. C’est forcément un best-seller qu’il prépare. Un coup d’œil à la liste des meilleures ventes et c’est entendu, il entreprend un manuel de développement personnel.
Par chance, cela ne présente aucune difficulté pour Marle Bévis. Son moi a déjà atteint son degré de développement maximal, il occupe tout l’espace disponible, ne laissant de place, à l’intérieur de lui-même, pour personne d’autre.
Il choisit un titre beau, simple et classique : À la découverte de soi-même.
Marle Bévis ne met pas la charrue avant les bœufs : il rédige une table de matières qui suffira à convaincre un éditeur et lui vaudra assurément une avance confortable sur les droits d’auteur. Il y a douze chapitres.
- Pour vivre heureux, vivons aveugles
- La vérité a déserté le puits
- Collision avec un miroir, sept ans de malheur !
- Florilège d’idées noires
- Liste de vos infamies, trahisons et autres impostures
- Votre moi est-il plus haïssable que celui d’un autre ?
- Autant fouiller une poubelle
- Se haïr soi-même, la clé pour mieux détester les autres
- Vaut-il mieux souffrir que ne pas être
- Quelles dernières paroles pour ne pas mourir idiot ?
- Quelle épitaphe pour votre pierre tombale ?
- Au fond du gouffre, le néant
Marle Bévis n’a pas peur, son caractère est bien trempé. Sans hésitation, il déconstruit, désosse, déshabille, déchante. Pour la couverture, il envisage quelque chose de bleu pâle, avec une touche de rose, une colombe ou un arbre.
Face au texte : l’illisible
isib, illi, illisible,
S’ils ne sont pas organisés suivant une séquence connue les signes deviennent illisibles.
Suivanisé, organt, séquille, lisence.
Et pourtant, tentation de les démonter, de brouiller le message, d’effacer les pistes.
Mortes
Nécessaire réfutation
Par une nuit venteuse, il est apparu que les feuilles qui se détachent des arbres ne sont pas mortes pour autant, pour l’autan.
D’où une nécessaire réfutation du qualificatif « morte ».
Dentelées, gladiées, lancéolées, lyrées, pennées, avec leur vol dense, avec leur tourbillon d’ailes de chauves souris, elles guerroient, elles dansent, et le doute n’est plus permis.
Vives, elles courent, jusqu’à ce que la pluie les alourdisse et les colle au sol, comme autant de petits Icare, dont le désir de liberté aurait été châtié par l’automne.
Ateliers d’écriture dans le Perche
En 2016, j’animerai des ateliers d’écriture sur le thème de « L’eau de là », à l’initiative la Compagnie du théâtre et du Parc naturel régional du Perche, dans plusieurs lieux. Sont confirmés pour l’instant :
le vendredi 22 janvier : 20h-22h puis le samedi 30 janvier : 10h-12h à la médiathèque du val d’Huisne, au Theil sur Huisne.
Le samedi 30 janvier 2016, 15h-17h et le samedi 06 février 2016, 15h-17h, à la bibliothèque de Bretoncelles.
Vous êtes conviés à un atelier d’écriture et de parole gratuit avec le romancier et auteur de théâtre de rue Jean-Baptiste Evette pour examiner comment un récit, une émotion, une sensation peuvent se transformer en texte ou même en poème, individuel ou collectif. Que vous souhaitiez prendre la plume, jouer avec les mots, apporter un document, une image, ou simplement raconter une histoire, un souvenir, vous êtes les bienvenus. Le thème prévu est l’eau, de la rivière à la source, sans oublier les poissons, les ondines ou les moulins. Peut-on rêver sujet plus porteur, plus profond et plus mystérieux ?
Cette aventure créative ne se fera pas sans vous.
Face au texte : métalinguistique
Parmi les pouvoirs de la langue, celui de s’emparer d’elle-même.
Et se retrouve avec des mots auxquels voudrait faire dire autre chose que ce que prévoit le dictionnaire.
Comment les colorer, les gauchir, pour qu’ils se plient à son intention ?
Susciter (avec la langue) de nouveaux voisinages, assembler « boire » et « déboire » ?
Changer leur câblage pour que s’éclairent différemment préfixe, racine, pour que certaines potentialités s’avivent et d’autres s’éteignent, pour que le courant du sens les parcoure différemment, une fois leurs polarités inversées. Mots électriques ?
Ainsi voudrait qu’ « interdire » signifiât « dire entre les mots, dire entre les lignes », bref glisser un sens nouveau dans un interstice.
Comment convaincre le lecteur d’accepter ces altérations ? Suffira-t-il de le prendre de haut ? Qui fera siennes les interdictions manuscrites dans l’interligne ?
Ce qui n’existe pas.
Note dans un carnet perdu, reconstituée de mémoire.
Parmi les qualités d’un [objet], l’existence n’est pas forcément la plus importante, ni la plus efficiente. Les dieux, par exemple, n’ont pas forcément besoin d’exister pour posséder d’autres qualités (beauté, profondeur et cruauté) et une efficacité manifeste, mais ce n’est pas aux dieux que je pensais au premier titre… Peut-être aux fées, à certains héros ou à certaines abstractions.
Écriture sur pavé, pour le projet Grands Papiers
Naguère comme aujourd’hui, le choix du noir
Vous vous prenez la tête dans les mains, vous tâchez de voir et de savoir. Vous êtes à la fenêtre dans l’inconnu. De toutes parts les épaisseurs des effets et des causes, amoncelées les unes derrière les autres, vous enveloppent de brume. L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir.
William Shakespeare, Victor Hugo.