novembre grippe

Quand la nuit distribue à ses figurants leurs rôles et leurs couteaux, je n’aime pas à me trouver dans une gare de province mal éclairée et déserte. La lueur de veilleuse qui suinte dans les salles d’attente évoque l’insomnie trempée de sueur. Et je pense au malade qui, dans une chambre équivoque, sent venir sa crise cardiaque ou son angoisse crépusculaire. Il est vrai que toujours, à ce moment, un express d’une rapidité inouïe me prend au passage et me dépose en quelques secondes devant une crique étincelante — entre Saint-Raphaël et le Le Trayas.

André Hardellet « Film (en partie censuré) », La Cité Montgol, Poésie/Gallimard.

Tous ces signes pointent vers quelque chose, mais vers quoi ?

DANS LA LETTRE
L’abri, c’est magistral, à l’intérieur d’un a, par egzemple, d’un o, d’un i — intérieur mince, bien sûr, que celui de l’i, mais combien certain, tiède même, gemütlich. Avec ça bien sûr, on ne va pas loin sur le chemin de la renommée. Bien plutôt, on va lentement. Oh combien d’écrivains et combien d’écrivaines

qui sont partis joyeux pour des courses lointaines

   à l’intérieur d’un i se sont ensevelis.

Si l’on est désinvolte, on peut choisir autre chose : l’aleph, l’oméga, le sampi.

Ah petit troupeau, petit troupeau, que tu nous fais souffrir.

Raymond Queneau, Texticules, Contes et propos, Folio Gallimard.

Rappelons la violence destructrice et salutaire de René Daumal

Il s’en faut que j’y parvienne ! Même dans la prose, dans la parole et l’écriture ordinaires, — comme dans tous les aspects de ma vie quotidienne — tout ce que je produis est gris, pie, souillé, mêlé de lumière et de nuit. Alors, je reprends la lutte après coup. Je me relis. Parmi mes phrases, je vois des mots, des expressions, des parasites qui ne servent pas la Chose-à-dire ; une image qui a voulu être étrange, un calembour qui s’est cru drôle, une pédanterie d’un certain cuistre qui devrait bien rester assis à son bureau, au lieu de venir jouer du flageolet dans mon quatuor à cordes, et, chose remarquable, du même coup c’est une faute de goût, de style ou même de syntaxe. La langue elle-même semble agencée pour me déceler les intrus. Peu de fautes sont de technique pure. Presque toutes sont mes fautes. Et je raie, et je corrige, avec la joie qu’on peut avoir à se couper du corps un morceau gangrené.

1941

René Daumal, Poésie noire et poésie blanche, Poésie/Gallimard.

Baudelaire : projet inachevé d’un épilogue pour l’édition de 1861 des Fleurs du Mal

Tranquille comme un sage et doux comme un maudit,
— j’ai dit:
Je t’aime, ô ma très belle, ô ma charmante…
Que de fois…
Tes débauches sans soif et tes amours sans âme,
Ton goût de l’infini
Qui partout, dans le mal lui-même, se proclame,

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Mon ennemi en chantier.

Je suis mon propre ennemi. Et la guerre dure.
Aussitôt que je me vois, je m’arrache le masque, j’expose mes mensonges, je dénonce mes prévarications.
Ennemi de moi-même, je suis un chasseur sans merci, qui me traque, me piste, me débusque, qui s’attache à sa proie.
Si d’aventure je me perds de vue, bientôt je me retrouve et la lutte reprend, ardente.
Hélas, je ne prends l’avantage que pour un moment, les forces sont trop égales, à la fin mon adversaire se libère. La poursuite recommence. Elle ne cesse plus.

Le 13 juin 2009

Le 13 juin 2009 je serai à Jaligny sur Besbre dans l’Allier, car dans une vie antérieure j’y ai reçu le prix René Fallet pour un premier roman. C’est la Journée littéraire de l’association « Agir en pays jalinois ».

Un spectacle d’après Henri Michaux ?

Je vous écris d’un pays lointain
la cie passages vous invite à découvrir:
« je vous écris d’un pays lointain »
petite forme spectaculaire et apicole d’ombres et de bougie,
inspirée par le poème éponyme de Henri MICHAUX
réalisé par Sabine Rosnay et Violaine Roméas
avec la musique de Hervé Bourde à la flûte alto

Un miracle assurément, non pas misérable, mais ténu.
De ce spectacle, on dira seulement que son charme tient pour beaucoup à son dépouillement et à son extrême fragilité. La flûte, le cadre de bois vraisemblablement tiré d’une ruche, l’écran de papier calque sur lequel de simples hiéroglyphes sont tracés, la flamme du tronçon de bougie qui vacille, tout est d’une extrême délicatesse, tout est dangereusement frêle et c’est précisément là qu’est l’enchantement. On assiste à un spectacle qu’un rien, craint-on, suffirait à renverser et à réduire à néant. La voix de la diseuse, elle-même, est discrète et le spectacle se vit dans une tension que suscite la peur de le voir disparaître. Et pourtant, il est là, il vit, souvent nostalgique, parfois drôle. Et ces lettres adressées de très loin, de trop loin sans doute pour que celle qui écrit revoie jamais leur destinataire, tracent une expérience philosophique qui est à nos yeux l’expérience par excellence, celle qui porte un regard autre, un regard étranger sur nos réalités les plus quotidiennes, feuilles, nuées, mer, soupirs, qui ressuscite la peur, l’embarras, le vertige qu’elles peuvent provoquer la première fois qu’on est en contact avec elles. Parce que réellement le monde est autre, et il est surprenant, ce que seules l’habitude ou la lassitude font oublier. Au delà de la science et de ses computations, au delà de nos perceptions inexactes s’étend le continent infiniment obscur de la réalité. Et Henri Michaux est un guide sans pareil, quand il est question de perdre ses certitudes.
En plus de cette dimension philosophique, le travail de la compagnie passages restitue également la part de l’intime et de l’affectif de cette correspondance à une seule voix, qui se construit d’ailleurs au fur et à mesure, puisqu’au départ la femme qui parle « dit » et qu’à la fin seulement il est écrit qu’elle « écrit ». On sent bien que les retrouvailles qu’elle espère risquent de n’avoir jamais lieu, elle écrit d’un pays si lointain, où, à suivre le texte, il semble que ne vivent que des femmes, qu’on se demande s’il ne se trouve pas au-delà du fleuve que personne ne peut traverser plus d’une fois.
L’idée de confier à chaque spectateur un fragment de poème dans une enveloppe, pour qu’il l’envoie à un autre des spectateurs prolonge heureusement la correspondance dans son au-delà, celui de la vie quotidienne.

Au dernière nouvelle, le flutiste va laisser place à un violoncelliste… Le mystère persiste.

Compagnie Passages
«Le Champ-Feuillet»
72400  Avézé
Tél. : 02 43 71 87 49//01 43 49 40 87
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