Par quel bout
raconter le pêcher
qui existe au moins
sous trois formes
fleur rose précoce
petit arbre aux feuilles lancéolées
et fruit voluptueux
Déjà par où entamer la pêche ?
Pavie, nectarine, brugnon,
sanguinole, alberge
péché capital
presque sphérique
dont le toucher
peut faire frissonner
Orgueil fondé de la rotondité,
nulle avarice, jalousie ou colère
sûrement de la luxure
immense gourmandise pulpeuse
célébration charnue de l’été
et paresse à mûrir au soleil
Une fois le fruit dévêtu
de sa soie et consommé
on s’en lèche les doigts
Même s’il est souvent
bien planté, un peu hirsute
sur sa colline et chargé de fruit
l’arbre paraît parfois
grêle et malade
ses feuilles boursouflées et rougies
ou même branches noires et nues
il faut dire qu’ici
ce n’est pas vraiment son pays
Adam l’aurait emporté du jardin d’Eden
à en croire Les Prairies d’or d’Al-Masudi
Charlemagne recommande
d’en planter aux jardins impériaux
Et Montreuil encore s’enorgueillit
de ses murs à pêchers palissés
Les Romains l’appelaient
Malum persicum
« pommier de Perse »
le jeune botaniste Batsch
illuminé dans son jardin d’Iéna
le rebaptisa
Prunus persica
Au douzième siècle
le rabin Rachi
l’écrit en français
pour la première fois
persche dans un commentaire
du Talmud, à Troyes
Le bon La Quintinie
jardinier de Louis quatorzième
aime que sa chair fonde
comme une eau congelée
qui redevient liquide
pressée par les dents
Il glorifie la magdeleine,
mignonne, tétin-tardive, admirable
rossane, pourprée, nivette, royale
bellegarde
Mais le pêcher
est venu d’Orient
Un cavalier, j’imagine
la poche bourrée de noyaux
aux reliefs profonds
comme des vallées miniatures
l’a apporté jusqu’en Iran
En Chine des poèmes célèbrent
l’éblouissante brièveté
de sa floraison
que l’on retrouve
au printemps suivant
alors que la jeune fille
au teint de pêche n’est plus là
Un singe divin et irrévérencieux
aussi nommé « conscient de vacuité »
ou « grand saint égal du ciel »
vole les pêches d’immortalité
dans La Pérégrination vers l’ouest
Et au delà de la forêt
de fleurs de pêchés
il y a, vous serez heureux
de l’apprendre
un monde secret
et généreux
qui ignore la guerre
et les querelles dynastiques
au moins tant qu’on lit
le poème de Tao Yuanming
écrit au cinquième siècle
Si bien que le pêcher marie
au bout d’une branche fragile
l’éphémère splendeur printanière
un fruit impudique et délicieux
et l’illusion d’éternité
portée par l’été