Sel
sur nos vies
sur nos vérités
sur nos ruines de Carthage
Exilés, repoussés
vers les terres du sel
les paluds, les salines
Nous vivons pieds nus
brûlés et séchés
au bord des étiers
sans ombrage
Pays de craquelures
pays de vase
aux riches puanteurs
où d’étranges floraisons
et roussissures énigmatiques
brouillent les règnes
mousses, algues, ou plantes ?
chardons, lichens ou fougères ?
Des oiseaux montés sur échasse
crient longuement
pour entraîner le passant
loin de leurs nids
Sous nos haillons
les plaies se creusent
la peau se marque
de halos et croûtes blanches
Nous sommes fumés et cuits
comme des salaisons
Notre manne est
de feuilles grasses et salées
de fenouil sauvage
de moutarde noire
de poissons égarés dans l’étier
Le sel
nous le convoquons pourtant
Nous l’appelons, le sel
car notre espace n’est pas
passivement
un marais salé
mais un marais salant
actif et travaillant
Brassé dans l’océan
sans limite et sans forme
poussé dans l’écume et dans la vague
le sel y monte avec les marées
se décante dans les vasières
se concentre au cheminement
des cobiers, des fares
se sature dans les adernes
et vient porter son témoignage amer
Dans les œillets
Architectes et maçons
nous reconstruisons tous les ans
notre cité de boue et de vase
ses écluses et ses canaux
ses labyrinthes
Parfois une tempête les ravage
un orage les dilue
mais toujours nous manions
le las ou la lousse
Mieux qu’au vinaigre
on confit au sel
on confie au sel
nous confions au sel
ce qu’il faut préserver
et cela ne se corrompt plus
Renonçant à la cicatrisation
renonçant la fécondité
fidèles à la saveur
adonnés à l’esprit
nos sagesses
nos beautés
sont de
sel