Le rouge-gorge et le bédégar

Dans la forêt du sommeil
dans la forêt du langage
rêve des feuillages

Quelquefois, il s’égare, papillon
à la recherche de la fleur
sur laquelle se poser
le mot

Un des précieux lexiques
dont Gérard de Crémone
Italien installé à Tolède
accompagnait
ses traductions de l’arabe
cite le bédégar
au douzième siècle

Rose du vent
vent et rose
en arabe, en persan
bédégar ?

D’un air de brigand
des Mille et Une Nuits
bédégar a désigné
une rose, le chardon-Marie
l’églantier et puis enfin
cette effloraison
étrangement chevelue
qui l’embroussaille

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Blason des volubiles

Illustration : Elizabeth Blackwell, Herbarium Blackwellianum, Nuremberg, 1765.

Il est déjà là, le temps des baies
avec l’avance que l’on sait

Sur la robe encore verte de la haie
colliers, guirlandes, festons
vrilles, serpentins et rubans
aigrettes, plumets
perles et pierreries baroques
rouges, violettes ou noires
Un noir de jais pour le deuil
de nos étés sans brûlure ?

Pousse une vérité emmêlée
concurrente ou symbiotique
de grains, d’akènes, de drupes
Breloques, dentelles sur la robe
de la danseuse verte

En hiver, quand la haie sera nue
ses os de bois uniquement
cachés par la feuille de lierre
elle conservera cependant ses bijoux
d’églantier, bryone ou tamier

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Miracles de l’églantier

C’est le jour où célébrer
la gloire d’une fleur
églantine
et du buisson épineux
qui la rehausse
d’obéir
à son invitation
d’ailleurs, elle attend à ma porte
rejetée d’un porte-greffe taillé
trop court

Car si l’arbuste est églantier
jadis aiglant, ou aiglantier
pour ses épines griffues
comme des serres
la fleur est églantine
d’où l’on baptisa beaucoup
de jeunes filles en fleur
des siècles précédents

Sa corolle, jupe de cancan
pour la troupe de Mademoiselle
Églantine, avec Jane Avril
ou plutôt mai ?

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Se piquer d’érudition

L’églantier
Sur le buisson dardant de l’églantier se greffe un tel concours de mots et d’érudition qu’il est un sujet épineux. Appelé au Moyen Âge aiglant puis aiglantier, il montrerait des affinités avec l’air et le vol, tout autant qu’avec le bec ou la serre. À en croire mon vieux Larousse, on retrouve écrit dans son nom un antique verbe sanskrit, , traverser, être tranchant, aigu, acéré, comme, par exemple, açri, fil ou tranchant de l’épée ; âçi, crochet de serpent.
Ancêtre rustique, rude, rustre de la rose, sa floraison déploie cependant cinq pétales d’un éclat délicat, d’une nuance raffinée. Elle est à la fois discrète et remarquable, puisqu’elle bénéficie d’un nom bien distinct de celui de l’arbuste, églantine, d’où l’on baptisa beaucoup de jeunes filles en fleur.
Dans la haie, ses tiges s’arment d’aiguillons recourbés, mais, par paradoxe, notre flore campagnarde se parant de jolies bondieuseries, ses fleurs rappellent la rosa sine spina, rose mystique sans épines, mère du Christ. Elles marient un symbole de féminité et de douceur avec les douloureux piquants de la couronne du crucifié.
Sa rusticité ne va pas sans une vulgarité de bon aloi. Son nom savant est bien entendu latin, rosa canina, celui de son fruit, grec, cynorhodon, rosier du chien, parce qu’il aurait guéri les morsures, dit-on. Je préfère imaginer qu’il était la plante favorite des philosophes cyniques. D’ailleurs le cynorhodon s’appelle aussi gratte-cul, et les cyniques aimaient choquer et irriter, davantage que dispenser confiture ou sirop.
L’églantier sait aussi se parer d’une efflorescence étrange et chevelue, qui porte le nom cartographique arabo-persan de bédégar, rose du vent, provoquée par la pondaison d’une guêpe dite cynips.
Peu exigeant, l’églantier se bouture, se marcotte, se rejette, il est du bois dont on fait les fagots, et sur ce mot, je doute qu’on me pare de l’églantine décernée au meilleur poète des jeux floraux de Toulouse.