Nombreuses sont dans toute l’Europe les légendes sur l’impossibilité d’achever la flèche d’une église, la tour d’un château ou les arches d’un pont, à moins d’un pacte périlleux ou d’un sacrifice, mais la version qu’en propose Simon Pitaqaj en adaptant pour le théâtre Le Pont aux trois arches d’Ismaël Kadaré est tout à la fois singulièrement noire et affûtée, et d’une modernité d’autant plus étonnante qu’elle a été originellement écrite en 1978 dans une Albanie elle-même emmurée, en adaptant une ballade balkanique qui prend, elle, sa source au XIVe siècle.
Fruit d’un travail approfondi, creusé à la pointe sèche et recreusé à travers une série de lectures publiques mises en espace, Le Pont, déploie sur un échiquier rigoureux la chorégraphie d’une légende ancienne, ressuscitée puis dévoyée, et finalement hissée aux dimensions du mythe par ces diverses mutations. Servis par trois comédiens d’exception, Redjep Mitrovitsa, Arben Bajraktaraj et Cinzia Menga, le texte et la mise en scène déploient le drame et sculptent l’espace du sacrifice, autour d’une paradoxale et impressionnante présence-absence de la victime. Continuer la lecture de « Le Pont, d’après Ismaël Kadaré, mis en scène par Simon Pitaqaj »