En Inde…
encore une fois je parle sans savoir
à l’aveugle, à l’aventure
au risque de me perdre en chemin
parce que c’est ainsi que je me sens vivre
Au Tamil-Nadu…
j’ai appris qu’une partie des écrits védiques
sont des aranyakas
c’est-à-dire des textes forestiers
au sens où, sans doute,
marginaux, étranges voire dangereux
ils ne doivent pas être étudiés
ou proférés
dans le confort du village
mais à l’écart, en lieu autre, isolé
Du sanskrit aranya
qui signifie « forêt »
Et de vrai, comme face à une forêt
je n’ai ni eu ni assez de bras
pour étreindre ce pays
ni assez d’yeux pour le voir
À Pondichéry…
Derrière l’écran d’un chaos
infini de rickshaws, de scooters, de bus
derrière le concerto discordant des klaxons
j’ai aperçu pourtant la sérénité
la vie végétale surabondante
du grand banyan sacré
dont les branches laissent tomber
des racines qui deviennent piliers
Avec son peuple de disciples malins et mystérieux
corneilles de l’Inde au cou gris
perruches divinatoires, martins pêcheurs
écureuils palmistes
il ombrage aux heures chaudes
le liseur de journaux
la vendeuse de cigarettes
l’homme fatigué qui fait la sieste
et sert de perchoir la nuit
à de grosses chauve-souris
Levé à l’aube car
moustiques minuscules
inévitables et tenaces
malgré la crème répulsive
à l’allure de mayonnaise
j’étais là toujours trop tard
pour voir les femmes réaliser
les blancs kolams
dessins géométriques
et énigmatiques
sur le pas de la porte
à la farine de riz
Mais assez tôt pour voir
les Pondychériens
sur le front de mer
saluer le soleil levant
sans savoir ce qui
était prière ou gymnastique
puis les rickshaws
bourrés à ras-bord
de fillettes en uniforme
qui allaient à l’école
Les maisons débordaient
de fleurs de bougainvilliers
L’ancienne ville française décrépie
les villas parfois envahies
par la végétation
Profusion de couleurs
d’épices, de fleurs
de temples, de mosquées
de saints catholiques enluminés
ville où l’on dort, boit
commerce et pisse
à même la rue
Cocotiers, kapokiers, palmiers
la cité toute entière
intelligemment ombragée
est un texte forestier
Elle semble rêver
hors du temps
comme si la maladie
devait l’épargner
Et moi, revenant
dans mes bois
je me retourne
une dernière fois
à cause du parfum
du jasmin tressé
dans la chevelure
d’une dame
que j’ai croisée