Après l’embarcadère nu
d’air, de pluie ou de vent battu
dans le train express régional
baptisé pourquoi donc, Rémi
comme l’orphelin de Malot
Brillant acronyme paraît-il
d’un Réseau de mobilité
interurbaine Centre-Loire
aux fuyantes nefs de métal
je vis l’odyssée rectiligne
du transport en commun sur rail
Mes voyages sont si fréquents
ludion humain pendulaire
petit migrateur déplumé
dormant ici puis là et là
que je ne sais plus quel trajet
est le retour, quel est l’aller
Je sais en revanche quel sens
de ce trajet fléché ainsi
qu’un vecteur de mathématique
est l’objet de ma préférence
sur la ligne Le Mans-Paris
Direction Le Mans, l’ouest proche
libre du désir d’arriver
soucieux de faire mon miel
d’un moment soustrait à l’horaire
le train se vide de gare en
gare, notamment après Chartres
cathédrale des fiers Carnutes
Gaulois de la grande forêt
effacée, oubliée et reniée
Ne sommes plus qu’une poignée
à nous enfoncer dans les prés
vers des destins aventureux
La nuit avale le paysage
et les vitres s’opacifient
miroirs à nos très grises mines
Le téléphone et ses réseaux
connaissent des silences blancs
Les arbres courent le long des
voies et tendent leurs rideaux noirs
Puis c’est la disparition nocturne
Tandis que direction Paris
chaque gare chargera son
lot de voyageurs fatigués
L’électronique triomphera
des aléas et du silence
et tout finira dans le gouffre
de la gare du Montparnasse
déserté par toutes les Muses
Quelle poésie linéaire
pour les épopées dépitées
des annulations, des retards
trains qui renoncent au départ
travaux infinis sur la voie ?
Tangage et roulis du cargo
ferroviaire bercent les corps
Certains s’endorment par accident
D’autres se laissent aller à
béer ou rêver vaguement
Parfois arrive un officier
de marine en casquette mais
non, ce n’est qu’un vil contrôleur
Ô villes et villages où
l’on ne descend pas vivre d’autres
vies aujourd’hui que les nôtres
dans des maisons avec pignons
pointus, gothique des banlieues
Le train-train presque quotidien
nous dit que le paysage n’est
que dans la distance qui nous
sépare de lui, et détruit
l’illusion qu’on peut l’habiter
Salut aux cours d’eau tailleurs de
vallées ferrées, Huisne, Corbionne
Eure et Seine dénouent leur ceinture
de peupliers et miroirs d’étangs
Je vois ce que vous voulez dire
Ou et comment l’éloge de
la Beauce et de ses blés mouvants ?
Terre gâtée, rasée, déserte
désherbée par l’industrie brute
où perdurent givre et froid
Pas de buisson pour faire un nid
Au-delà, oui, ça s’ensauvage
se boise, se mamelonne
Nos amis migrateurs ailés
trouvent alors où se poser
Mais quelque part, le train voyage
dans le verso du paysage
à son envers le moins visible
Les maisons lui tournent le dos
Électriques transformateurs
casses, usines ruinées
silos, friches, terrains très vagues
le suivent, cortège secret
semés de sureaux, buddleias
robiniers faux acacias
même renouée du Japon
Abri de jardin délaissé !
Recto-verso, vice-et-versa
quand de part et d’autre de Chartres
le train scande son cours d’histoire
rurale et au départ chouanne
La Ferté-Bernard, son marché
Le Theil et La Rouge, accolés
Ruinée l’usine Abadie
jadis papier à cigarettes
Nogent-le-Rotrou, au château
tour de l’usine de chapeaux
Tirard frères, abandonnée
Cours d’eaux à moulins, minoteries
Bretoncelles, Condé-sur-Huisne
la cavalcade huguenote
Pour votre sécurité lors
de votre descente, prenez
garde à l’intervalle entre le
marchepied et le quai, dit-on.
Courville-sur-Eure, La Loupe
Toujours le grand chêne s’effondre
encore une histoire de loup
comme plus loin à Saint-Luperce
Duc aux dents longues, Épernon
Belle marquise, Maintenon
ruines d’aqueduc quelque part
et Rambouillet ceint de forêts
Entre les bois, on aperçoit
le château, Versailles-Chantiers
on n’est pas encore arrivé
Tour Eiffel tournoie environ
Paris-Montparnasse, descente
modernité mal digérée
rebond aux enfers du métro
Comme l’espoir est chevillé
au corps, au cœur et aux trajets
deux cygnes blancs dans un pré vert
chevreuil file vers la forêt
la pluie aquarelle les vitres
les aubes vraiment théâtrales
les crépuscules dramatiques
les blanches brumes matinales
les belles draperies de givre
une fille masquée qui lit
un livre et pas un téléphone
passage d’une robe rouge
laissent rêver d’épiphanie
ferroviaire mais en vrai
la plupart des trajets en train
restent d’une banalité
toute prosaïque, sans lyre
et leur charme assez indicible