En voiture ?
Non, d’abord la salle des pas perdus
Au delà de ce point
un titre de transport est exigé
Tu penses
à ceux qui ne partent pas
Ni billets ni tickets
Visages inquiets de ceux qui restent en gare
naufragés
sans jamais monter dans un
Paris Marseille Menton
ou mieux encore Paris-Rome
avec le soleil qui se lève sur Gênes et la mer
Gare de la mendicité
Mélancolie
Il me manque dix pour mon billet de retour
Petite bibliothèque Hachette des chemins de fer
Café des Voyageurs
Partir avec un bouquet
ou avec un saucisson à l’ail ?
Peu de baisers, de bouquets, d’adieux, de mouchoirs agités
Quelquefois on quitte quelqu’un en sortant du train
pas en y montant
Visages hâves et fatigués
trop tôt le matin, trop tard le soir
Madonne des sleepings
Tu as eu ton époque gare Saint-Lazare
gare d’Austerlitz, gare de Lyon, gare du Nord
transformées depuis en galeries commerciales
Gare, l’étymologie t’aiguille
déverbal de garer, égarer
le verbe locomoteur à l’arrêt après sa course
Gare, non-lieu des courants d’air
venteuse et inconfortable en hiver
Ce n’est pas là que tu es invité à séjourner
graillon et pains au chocolat momifiés
sandwichs aplatis, bananes écrasées
Avant le TGV, avant le Corail
à l’époque des compartiments
arrivé trop tôt, avec ta valise trop lourde
l’angoisse, toujours l’angoisse de rater ton train
l’angoisse d’oublier l’arrêt
Nostalgie du
rêve d’Apollinaire
inventeur du Robinson de Saint-Lazare
ou de Jules Romain
Ubiquité en train
unanimisme
Mil-neuf-cent-treize
cathédrales de la modernité de jadis
zones, larges saignées mécaniques au travers des villes
Tu montes dans un compartiment avec
Apollinaire, ton cœur, Blaise Cendrars et Sonia Delaunay
Tu déplies, imprimée sur un long feuillet coloré
La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
Une jeune fille croisée dans le train
qui cherchait un adversaire pour jouer aux échecs
l’as-tu revue
êtes-vous devenus amants ?
Amants séparés
amant réprouvés
amants retrouvés
sous les horloges des gares
Pluie qui zèbre les vitres
près du petit marteau rouge
Signal d’alarme !
Retrouvons-nous rue du Départ
Quittons nous rue de l’Arrivée
Tu l’as vue à Waterloo Station
Signes tracés
dans la buée de la vitre
du wagon
du ouagon
Monté dans un train qui te laisse gare d’Orsay —
chemin de fer d’Orléans
Tu vois Madeleine Renaud jouer Harold et Maud
Tu vois Gustave Courbet réfléchir à sa carrière
A-t-il décidé de remplacer les femmes par des paysages
sur ses tableaux
Les nuages de vapeur de Monet remplissent le hall de départ
Il n’y a rien de beau comme un voyage en train
Pas ici, pas encore là-bas
suspendu
voyageur des limbes, délivré pour un temps
des contingences, des circonstances
Séparé et balloté par un trajet rectiligne
jadis tu écrivais de belles pages dans le train
Comme tu aurais été heureux
rêves-tu
en habitant cette maison
ce jardin ce pays
qui filent derrière la vitre
du train
— Emmène-moi
Mais le contrôleur passe
casse le rythme
et le lyrisme
La validité de ton
titre de transport
est douteuse
Son compostage
louche
Voix de la gare
bruits de bottes dans la nuit
et soldats qui passent dans le couloir
Ligne de démarcation
on ne peut pas imaginer les trains
en partance de la gare de
de la gare du Bourget-Drancy
Nacht und Nebel
Plaque commémorative
des cheminots résistants
impuissants à empêcher le crime
Quelquefois le voyage est lugubre
le train fantôme
et tu te demandes s’il
mène dans l’autre monde
machine psychopompe
train d’enfer
jeté vers la nuit
Quelquefois les villes sont plus belles que leur gare
Hélas les portes d’entrée de Lyon
sont Perrache ou Part-Dieu
Quelquefois, un côté de la gare donne sur la ville
l’autre sur son avers
quelque chose qui est bâti, mais n’est pas une ville
parking, bureaux vides, surfaces ambiguës
Gare, si tu descends par erreur
au revers de la ville
Souvent tu croises sans les voir
femmes et hommes, noirs en général
en hâte montés vider les poubelles du train
en hâte balayer
sans partir
sans quitter la ville et ses ennuis
Gare Saint-Charles, panorama
gare de Perpignan, espoir
Victoria Station
Comment devenir Anglais
gare d’Assier, train de nuit
gare de Saillans, marche à pied
gare de Sablé, enfance
gare menacée de fermeture
gare qui dessert un champs de blé
gare qui dessert un causse
gare vidée de toute présence humaine
Gare où des militaires perdus tournent en rond
sous leur béret, l’arme à la main
Hantise de la valise oubliée ou piégée
La consigne à bagages
le bureau des objets perdus
ont été engloutis
De quel quai est parti
l’express de la poésie ?